Les islamistes marocains, au pouvoir depuis deux années, risquent vraisemblablement de subir le même sort que leurs «frères» égyptiens. Et pour cause, ils viennent de perdre le précieux soutien du parti conservateur Istiqlal qui leur a permis de détenir la majorité au Parlement marocain et, donc, de prendre le contrôle du pouvoir exécutif. Le leader du parti Istiqlal, Hamid Chabat, qui n'a cessé, ces derniers mois, d'avertir les islamistes du Parti pour la justice et le développement (PJD) avec lesquels il gère les affaires, qu'il allait retirer son parti du gouvernement, a finalement décidé de mettre sa menace à exécution. Les six ministres que compte le parti de l'«indépendance» au sein de la coalition au pouvoir au Maroc ont officiellement présenté, mardi, leur démission au chef du gouvernement. El Istiqlal explique sa décision par un désaccord avec leurs partenaires du gouvernement sur une réforme des subventions et dénonce un manque d'action et de concertation de la part des islamistes. Effectivement, M. Benkirane planche actuellement sur un projet qui consiste à déréglementer les prix de certaines denrées de base après le mois de Ramadhan. Selon l'Istiqlal, une telle décision risque de nuire aux populations marocaines les plus démunies. La crise gouvernementale, qui dure depuis deux mois, fait craindre un blocage dans la mise en œuvre de réformes sociales à haut risque, mais présentées comme indispensables pour le royaume, confronté à une situation financière précaire avec un déficit public de plus de 7% en 2012. Calculs et agenda personnel Si la situation a atteint un tel niveau de pourrissement, il faut dire aussi que c'est en grande partie à cause du fait qu'El Istiqlal, arrivé en deuxième position lors des législatives de novembre 2011, ne s'entend plus avec le PJD depuis l'élection à sa tête, le 23 septembre 2009, de Hamid Chabat. A ce propos, de nombreux observateurs de la scène politique marocaine expliquent la guerre de tranchées que se livrent depuis Hamid Chabat, le nouveau secrétaire générale de l'Istiqlal, et Abdelilah Benkirane, Premier ministre issu des rangs du PJD, par l'agenda politique personnel de M. Chabbat. Dévoré par une ambition démesurée, celui-ci veut replacer au plus vite son parti à la tête de la pyramide du pouvoir, et cela par n'importe quel moyen. Et, bien entendu, il se voit lui-même à la place de Abdelilah Benkirane. D'où son hyperactivité et son agressivité envers ses adversaires politiques. En plus, donc, de faire de la critique du PJD son passe-temps favori, Hamid Chabat n'a pas hésité, pour se faire de la publicité et soigner sa cote dans les sondages, de «tirer» à l'arme lourde sur l'Algérie. Comme dans beaucoup de pays maghrébins, le «nationalisme teinté de populisme» est un levier qui rapporte beaucoup dans les élections. Et cela, Chabat l'a bien compris. C'est simple : il ne se passe pratiquement plus une semaine sans que le leader d'El Istiqlal ne rappelle la position de son parti qui défend la «marocanité du Sahara occidental et de certaines villes algériennes» et ne déclare la «guerre» à l'Algérie.La manière dont Hamid Chabat a orchestré son coup prouve à tout le moins que sa stratégie de reconquête du pouvoir est bien réfléchie. Murmures et intrigues au palais Quoiqu'il en soit, sa sortie avait eu l'effet d'un coup de tonnerre au Maroc dans la mesure où elle ouvre la voie à des législatives anticipées. Cette option peut néanmoins être évitée dans le cas où le PJD trouve de nouvelles alliances pour bâtir une majorité. Ce qui ne sera pas pour lui une mince affaire puisque les formations susceptibles de rejoindre le gouvernement ne font pas vraiment le poids. Reste à savoir maintenant si le roi Mohamed VI acceptera les démissions des ministres concernés. Mais il se murmure que cette décision de se retirer du gouvernement aurait reçu le soutien du palais, qui n'a en réalité jamais apprécié la présence d'islamistes au pouvoir. En revanche, certains observateurs soutiennent que Chabat a agi ainsi afin de remplacer les ministres istiqlaliens du clan El Fassi par des membres de son clan. Cette exigence, le patron de l'Istiqlal l'aurait, dit-on, formulée à Abdelilah Benkirane, le chef du gouvernement, depuis son élection à la tête du parti conservateur. Dans tous les cas, le divorce du PJD d'avec El Istiqlal risque d'être ruineux pour Benkirane. L'appui de l'Istiqlal, qui détient six ministères dont celui de l'Economie et des Finances, a été en effet nécessaire aux islamistes du PJD pour obtenir la majorité, même s'ils ont remporté un franc succès aux élections législatives, fin 2011. Ils ont d'ailleurs dû mettre sur pied une coalition hétéroclite qui comprenait également le Mouvement populaire (MP) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS). En un mot, l'avenir du PJD de Benkirane à la tête du gouvernement marocain est désormais des plus incertains… aussi incertain qu'est celui des Frères musulmans dans le Monde arabe.