Si dans certaines filières, le recours à l'importation est nécessaire pour faire face aux besoins grandissants de la population, dans d'autres segments agricoles, la production excédentaire ne trouve pas preneurs. Parfois, elle finit dans les décharges et dans les oueds au lieu d'atterrir dans les usines de transformation, dans des aires de stockage ou bien aller directement vers les marchés extérieurs. L'appel lancé par les producteurs d'abricots de la région de Messaâd, dans la wilaya de Djelfa, aux industriels afin d'acheter leur production, est un exemple édifiant de la déconnexion entre le monde agricole et celui de l'industrie. L'autre exemple nous vient de la wilaya de Batna, plus exactement de N'gaoues où la production attendue avoisine les 700 000 quintaux. Jugée excellente en termes de qualité et de quantité à travers les différentes variétés, la récolte de ce fruit d'été n'a pourtant pas réussi à être totalement commercialisée avec toutes les pertes engendrées pour les agriculteurs pour différentes raisons. La plus importante d'entre elles reste cette déconnexion avec l'industrie agroalimentaire (IAA). Face à une telle situation, les agriculteurs ne trouvent pas mieux à faire que d'opter pour les solutions traditionnelles, à savoir la méthode de broyage des surplus de production de manière à conserver leurs récoltes pendant longtemps. C'est le cas de la tomate. Les fellahs se sont retrouvés, pour rappel, en 2011 (production excédentaire) dans l'obligation de brader leur production ou carrément de la jeter dans les oueds et les décharges anarchiques. Ce n'est que suite à cette situation que des contrats d'achat ont été conclus avec les transformateurs. Des contrats pas souvent respectés à quelques exceptions. Paradoxalement, les industriels se dirigent directement vers l'importation des concentrés de jus de fruits, de tomates pour faire tourner leurs usines. On trouve d'ailleurs en abondance sur le marché national notamment en cette période de Ramadhan propice à la consommation de nombreuses marques étrangères de fruits en sirop, de confitures, de double (et triple) concentré tomate, des légumes en conserve et bien d'autres produits finis (semi-finis) dont on aurait pu éviter l'importation en exploitant la production agricole nationale. Ce qui contribuerait à réduire la facture alimentaire de l'Algérie qui a, faut-il le rappeler, sensiblement augmenté durant les cinq premiers mois de l'année en cours (particulièrement pour le lait et les céréales) mais aussi à valoriser le produit national et développer une IAA indépendante des fluctuations des prix sur le marché international des matières premières alimentaires. Faible taux d'intégration de la production agricole dans l'IAA Pour preuve, le taux d'intégration de la production agricole dans l'IAA ne dépasse pas les 20%. A travers le monde, les produits transformés représentent aujourd'hui les deux tiers du marché agroalimentaire mondial contre 50% dans les années 80, alors qu'en Algérie on est bien loin avec 20%. en parallèle, des pertes de l'ordre de 30% de la ferme à la ménagère. Ce qui représente le manque à gagner si ces produits étaient transformés. D'autant qu'il s'agit également de contribuer à l'amélioration de la sécurité alimentaire du pays. Ces chiffres illustrent parfaitement cette déconnexion et cette disjonction entre l'amont agricole et les professionnels de l'IAA. Un point soulevé à maintes reprises et des rencontres ont déjà été tenues entre les parties concernées pour trouver les solutions idoines à une telle situation. La dernière en date remonte à avril 2013, lors du forum sur la sécurité alimentaire organisé à l'initiative du Forum des chefs d'entreprise (FCE). L'objectif tracé dans ce cadre est de porter le taux d'intégration à 50% d'ici à 2014. Mais pour cela, des mesures sont à mettre en œuvre, notamment pour améliorer la production agricole en quantité et en qualité pour répondre aux besoins spécifiques de l'industrie agroalimentaire. Les professionnels du secteur ont bien souligné cette question. De son côté, le ministre de l'agriculture et du développement rural, Rachid Benaïssa, ne cesse de rappeler les efforts déployés pour asseoir une industrie de transformation agroalimentaire. Ce qui commence déjà à se mettre en place à travers les initiatives timides de quelques opérateurs spécialisés dans l'industrie de transformation. Pour M. Benaïssa «la création de cette filière devient incontournable, voire indispensable, au vu des performances encourageantes et en nette évolution enregistrées dans les différentes filières de production». Des performances qui sont, de l'avis du ministre, les résultats des efforts soutenus que les différents professionnels du secteur de l'agriculture fournissent. L'approvisionnement en produits agricoles principale contrainte Cependant, ces efforts restent insuffisants selon les experts qui relèvent de nombreux handicaps. Vient en premier lieu, l'absence de logique d'entreprise au niveau des exploitations agricoles, puis le problème d'organisation de la commercialisation des productions agricoles. Une situation qui se caractérise, selon Mohamed Amokrane Nouad, expert en agronomie, «par une dichotomie entre le secteur traditionnel privé atomisé avec de très nombreuses petites exploitations et quelques grandes exploitations privés ou publics qui représentent un potentiel important de productivité».Il y a essentiellement l'irrégularité des rendements agricoles. Ce qui rend réticents les transformateurs à s'approvisionner en matières premières chez les agriculteurs locaux. En effet, les principales difficultés des unités agroalimentaires concernent l'aspect de l'approvisionnement en plus de la quantité, la qualité et le prix des matières premières. Les fluctuations climatiques se traduisent en effet par une très grande irrégularité des récoltes avec des variations importantes au fil des saisons. Un problème auquel s'ajoutent, les différences constatée dans les matières premières (en termes de calibre et taux de déchets) réceptionnées avec toutes les conséquences que cette situation engendre sur le fonctionnement des unités de production. Les transformateurs de céréales rencontrent particulièrement ce problème qu'ils ont déjà soulevé au ministère de l'agriculture. L'ensemble de ces éléments viennent donc rappeler que la passerelle tant attendue entre l'amont agricole et l'IAA attendra encore avant d'être construite sur des bases solides. Il s'agit particulièrement de développer une agriculture moderne capable d'assurer la matière première nécessaire pour faire rouler les usines de l'agroalimentaire. Des pistes sont proposées dans ce cadre et des exemples d'intégration de la production nationale dans le processus de transformation sont en cours (Groupe Benamor, laiteries Soummam et Danone, le groupe Giplait, Ifri Olive…). L'engagement du groupe Benamor et les projets de Cevital Au même titre que Cevital, le groupe Benamor a compris la nécessité de travailler en étroite collaboration avec les agriculteurs. Sa démarche s'inscrit d'ailleurs dans ce cadre. Pour Laïd Benamor : «L'association entre les deux parties a été le gage de réussite de la démarche du groupe. Ce qui a permis aux partenaires agriculteurs d'augmenter le rendement de leurs terres d'une part, et d'assurer à Benamor un approvisionnement suffisant en qualité et en quantité.» Expliquant cette démarche, M. Benamor dira : «Notre groupe s'est joint aux agriculteurs avec lesquels il a créé un partenariat basé sur un esprit gagnant-gagnant. Aujourd'hui, en matière de production de tomate, à titre d'exemple, le contact est établi avec plus de 450 agriculteurs de Guelma, Skikda et Annaba.» Le groupe a également réalisé une expertise locale en s'appuyant sur des spécialistes en agriculture qui transmettent leur savoir-faire aux agriculteurs. Pour le domaine céréalier, il y a eu la mise en place d'un réseau pour le développement de la production et la promotion de la qualité du blé dur produit localement et sa valorisation. Les agriculteurs ont pleinement adhéré à cette chaîne. «Ils sont à l'affût même des nouvelles techniques», précisera Laïd Benamor satisfait d'avoir réussi à changer les mentalités à ce niveau. «Il nous a fallu, dans un premier temps, convaincre un groupe d'agriculteurs de l'efficacité des nouvelles méthodes et leur démontrer cela. Mais encore, notre groupe, tout en accompagnant ces agricultures en amont, s'est engagé à assumer les résultats quels qu'ils soient. Ceci pour ce qui est de notre expérience sur la tomate», ajoutera le premier responsable du groupe Benamor, qui a par ailleurs lancé un programme dit «Modèle Benamor», lequel se poursuit. Comment ? Avec la mobilisation de tous les acteurs du secteur : pour l'adoption des procédures d'identification et de traçabilité et surtout, une intégration interprofessionnelle centrée sur des préoccupations et des objectifs communs. Cependant, «il reste certain que les potentialités de nos variétés en matière de rendement n'ont pas été atteintes», selon M. Benamor qui conclura : «Nous restons persuadés que nous sommes sur la bonne voie pour la construction d'une base solide de production par le biais de l'intégration.» Une démarche que cherche à asseoir le groupe Cevital via sa filiale agro-industrie. Cevital, qui importe 70% des matières premières transformées dans l'agroalimentaire selon le directeur commercial du groupe, Sid Ali Adjouadi, a déjà ficelé un projet pour la production de graines oléagineuses destinées à la fabrication des huiles végétales. Pour cela, le groupe compte exploiter 3 millions d'hectares de terre pour la semence de ces graines. C'est une manière pour le groupe de réduire la jachère des terres et de récupérer les tourteaux qui ont un débouché naturel dans l'alimentation animale (notamment pour l'aviculture). Ce qui réduira, selon M. Adjouadi les importations d'aliments de bétail. Mais, pour ce projet, Cevital attend toujours le feu vert du gouvernement.