Chaînes interminables et automobilistes excédés. C'est la situation à laquelle sont confrontés chaque jour les citoyens de plusieurs villes du pays au moment de s'approvisionner en carburant. Les «décisions» prises par le gouvernement n'ont pas pu venir à bout de la tension sur le carburant déclenchée depuis des jours. El Watan Week-end fait le point. Aïn Témouchent. Les hallaba font une razzia
Si depuis des décennies les hallaba (contrebandiers dans le carburant) se contentent d'assécher les stations de la seule wilaya de Tlemcen, ils roulent également au GPL pour n'avoir rien à consommer de leur cargaison chargée dans les réservoirs doubles de leurs véhicules. Par ailleurs, leurs gros camions, des semi-remorques, ont été renforcés par le parc de certains entrepreneurs de travaux public pour razzier toutes les quantités de gas-oil possibles. Un interlocuteur au fait des dessous du trafic explique : «Savez-vous que les hallaba ont tellement appâté les pompistes que ce sont ces derniers qui les alertent dès l'annonce d'une livraison de carburant» Pour ce qui est des échos qui ont mis la rareté du carburant sur la défaillance de Naphtal dans la distribution, l'on sait que «pour compenser son manquement, les cinq distributeurs privés de l'ouest du pays ont vu leur quota d'enlèvement doubler depuis mai dernier auprès de Sonatrach». Cependant, malgré tout, les livraisons de carburant qui s'écoulaient à la pompe en huit heures partent maintenant en moins de deux heures. La raison ? «C'est la très forte demande au-delà de la frontière et l'augmentation du prix d'achat du litre, soit 100 DA et 120 DA respectivement pour le gasoil et le super à Oujda ! », ajoute le même interlocuteur.
16 Marocains et 2 Algériens arrêtés par les GGF
Dix-huit contrebandiers, dont 16 de nationalité marocaine et 2 Algériens, ont été arrêtés, depuis le début du mois de Ramadhan, par les éléments des garde-frontières de la Gendarmerie nationale (GGF) aux frontières du pays, avons-nous appris du commandement national. Outre cet important nombre de trafiquants en majorité des hallaba, les mêmes services ont réussi à récupérer 19 074 l de carburant. Les GGF ont pu mettre la main sur 120 kg de roses de sable très prisées par les touristes. Les moyens de locomotion qui ont servi pour acheminer les différentes marchandises par les contrebandiers ont fait l'objet de la même mesure. Selon un décompte officiel du commandement de la Gendarmerie nationale, pas moins de six véhicules et une motocyclette ont été saisis depuis une semaine.
L'arrêté signé par le wali consistant à rationner le quota pour les stations-service (500 DA pour les véhicules utilitaires et 2000 DA pour les véhicules de transport public et engins) dans le but de lutter contre le trafic d'essence et du gasoil n'a pas eu l'effet escompté. En ce sens que les hallaba, qui ont plus d'un tour dans leurs réservoirs, continuent de sévir et c'est l'automobiliste honnête qui en paie les conséquences. Un phénomène nouveau s'est incrusté à Tlemcen : on s'approvisionne en carburant dans des maisons ! Les Tlemcéniens ont pris le pli, malgré eux, de s'approvisionner en carburant dans des maisons situées dans des quartiers populaires. «Nous courons un grand risque ; ces maisons-bombes représentent un réel danger pour la population», dénoncent des citoyens. L'essence est cédée en deuxième main à 100 DA le litre. Ce plafonnement des quantités n'épargne personne, même pas les transporteurs publics (taxis et bus), d'où une réelle perturbation dans les habitudes de la population. Pour justifier sa mesure répressive, le wali de Tlemcen a indiqué que «l'Algérie avait perdu 265 millions de litres de carburant en 2012, soit l'équivalent de 4 milliards de dinars…». Dans le même ordre d'idées, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales a souligné, lors de sa dernière visite à Aïn Defla, que «la wilaya de Tlemcen consomme plus de carburant que celle d'Alger». Un membre du commandement de la Gendarmerie royale reconnaît que «tout est question de profits. Autrefois limitée à certains produits, la contrebande s'est élargie au trafic du gasoil, qui rapporte plus». 100 dinars algériens sont échangés contre… seulement 7 dirhams marocains. Tout est là, aussi !
El Tarf. Des conduites en PVC pour acheminer le carburant en Tunisie
C'est toujours la bousculade dans les stations-service à El Tarf. Du moins, pour celles qui viennent juste de recevoir leur livraison quotidienne. Les autres sont fermées, elles ont épuisé en quelques heures leur quota du jour. Moins de 18 000 l chacune, tiennent à préciser les pompistes, pour souligner qu'il y a aussi une baisse des livraisons. Sur les routes vers la bande frontalière et les postes frontaliers, les quelque 600 Toyota Hilux algériennes et autant de veilles voitures tunisiennes vont et viennent dans un ballet incessant acheminant vers la Tunisie voisine la moitié de la dotation en carburant de toute la wilaya d'El Tarf, soit près de 350 000 litres par jour. Les Algériens l'expédient en jerricans par dos d'ânes ou par de longues conduites en PVC qui traversent la frontière. Les Tunisiens passent et repassent par les postes frontaliers avec les réservoirs vides à l'aller et pleins au retour. Pour tenter d'endiguer ce fléau, le wali d'El Tarf a demandé aux gérants des 24 stations-service de la wilaya de tenir un registre pour consigner des renseignements sur tous les véhicules qui viennent s'approvisionner en carburant. Ce qu'ont refusé de faire les pompistes pour des raisons de sécurité, mais surtout parce qu'ils ne se sentent pas en droit de le faire en leur qualité de commerçants.
Des perturbations dans la distribution du produit en provenance du port de Skikda est une autre cause invoquée par les propriétaires des stations-service. Le temps que prennent les camions-citernes pour l'acheminement du produit et les quantités insuffisantes affectées à cette wilaya sont aussi susceptibles de provoquer une crise de plusieurs jours. Ali Hemaïdia, le représentant local de l'Union nationale des investisseurs, propriétaires et exploitants des relais et stations-service (Uniprest), affirme : «Le problème majeur dans ces pénuries est la contrebande. Nous sommes quotidiennement menacés par des dizaines de personnes qui débarquent à bord d'engins, de camions et de voitures pour remplir leurs réservoirs à plusieurs reprises (…). Nos confrères ne peuvent dire mot devant ces hordes de trafiquants qui sont capables du pire. Nous attendons la promulgation des nouvelles lois relatives à la contrebande, c'est notre seul espoir.» Benhassine, le chef d'inspection-divisionnaire de la douane à Souk Ahras, estime que la situation va vers la maîtrise et explique par les chiffres les résultats des efforts de son département ainsi que ceux consentis par les autres corps de sécurité. Il est indiqué dans le bilan officiel que les saisies en gasoil et essence sont passées respectivement de 16 850 l en 2011 à 10 680 l en 2012 pour ne point dépasser les 500 en 2013. Une baisse qu'il impute au renforcement du dispositif de sécurité au niveau des zones frontalières, et aux restrictions légales imposées aux personnes suspectes. «Il suffisait auparavant de présenter une attestation administrative délivrée par l'APC pour pouvoir bénéficier de la reconnaissance du statut de fellah et transporter en toute quiétude des quantités importantes de combustibles jusqu'aux confins des villages frontaliers (…). Nous avons mis en application de nouvelles dispositions légales à même de rendre difficile la tâche des faux fellahs dont la demande de la carte de fellah et d'une liste des cotisants inscrits au niveau de la Chambre d'agriculture. Résultat : au lieu de 15 000 personnes déclarées fellah en 2011, nous en avons 400 en 2013», a expliqué le même responsable.
Tébessa. Complicité de certains propriétaires de stations-service
Cette semaine, presque toutes les stations-service du chef-lieu et des communes avoisinantes étaient fermées pour des raisons ignorées. Selon le directeur par intérim, le déraillement d'un train au niveau de la région de Meskiana (wilaya d'Oum El Bouaghi) en est la cause. Ce dernier a refusé de nous donner des explications concernant la pénurie qui s'est installée. A Tébessa, la tension sur les carburants persiste depuis plus de 4 ans déjà et aucune solution définitive n'est à l'horizon jusque-là sauf «plafonner la vente d'essence à 600 DA et du mazout à 300 DA». La disette est attribuée essentiellement à la contrebande vers la Tunisie avec la complicité directe de certains propriétaires de station-service et de leurs pompistes. La wilaya de Tébessa compte aujourd'hui 54 pompes à essence, dont 10 étatiques et, en l'absence d'un contrôle rigoureux des services concernés, plus de la moitié des stations privées préfèrent vendre leurs carburants à des prix alléchants aux contrebandiers qu'à son prix normal au simple automobiliste.
Tamanrasset. Ruée sur les pompes de la ville
S'exprimant sur les raisons de cette crise, un responsable d'une station-service impute le problème aux récurrentes perturbations dans la chaîne de distribution et d'approvisionnement de Naftal. «Néanmoins, on n'est pas en situation de pénurie, puisque le problème se pose uniquement pour le diesel», explique-t-il. Notons qu'en dépit de l'instruction relative à l'interdiction de servir le carburant dans des jerricans, des fûts, des citernes et des réservoirs surdimensionnés (instruction de la DG de Naftal n°122 du 04/02/2013) sauf sur autorisation des services de sécurité, la crise n'a toujours pas connu son dénouement pendant que des quantités importantes de carburant sont acheminées hors de nos frontières. Compte tenu des statistiques réalisées par les services de sécurité de cette wilaya aux cinquante nationalités durant le premier semestre 2013, près de 100 000 l de carburant destinés à la contrebande ont été récupérés. A signaler que depuis la fermeture des frontières avec le Niger et le Mali, le trafic de carburant est devenu le bon filon des contrebandiers, et ce, sachant qu'ils gagnent jusqu'à 40 000 DA de bénéfice net pour chaque fût de 200 litres vendu à raison de 300D A/litre, a-t-on appris de sources sécuritaires.