Les terrasses des cafés affichent complet juste après le f'tour. Juste avant la rupture du jeûne, les rues d'Alger-Centre sont désertes. Seuls quelques automobilistes, appuyant à fond sur le champignon, essayent de rattraper leur retard, comme les rares piétons qui pressent le pas pour la même raison. Toutes les rues et grands boulevards algérois se mettent en mode «pause iftar». L'exception qui confirme la règle est constatée chez les gérants et les serveurs des cafés. Ces derniers s'activent pour préparer l'ouverture ainsi que la mise en place des tables sur les terrasses. La soirée sera très longue pour eux, «tant mieux», doivent-ils se dire ! En effet, les cafés sont les premiers commerces qui ouvrent et les derniers à fermer, durant ces soirées ramadhanesques. Dès que les gens ont ingurgité leur bol de chorba, il est difficile de dénicher une chaise pour s'attabler sur les terrasses bondées de monde. Cela dure généralement jusqu'au moment de l'abstinence, à l'aube du lendemain. «Rien n'est meilleur que de rester autour d'une table afin de se doper d'une bonne dose de caféine et savourer le maximum de cigarettes, tout en se racontant notre journée», s'amusent à dire une petite bande de copains, place Audin. Paradoxes de la vie, certainement, dans les recoins de la rue Didouche et de toutes les grandes rues de la capitale, des SDF font la manche. Ces personnes en détresse sont généralement des femmes avec enfants. Ils profitent de la générosité des Algérois durant ce mois de miséricorde pour faire une «belle soirée», à leur manière. Sport et culture A partir de 22h, on remarque un regain d'activité : les citoyens envahissent les rues de nouveau et la circulation automobile connaît ses premiers bouchons nocturnes. Il paraît que c'est normal pour une nuit de Ramadhan à Alger. Les taxis et les transports publics, le métro y compris, prennent part à l'ambiance. Tout est prêt pour une soirée de Ramadhan typiquement algéroise. Plusieurs animations culturelles et sportives font le bonheur à la fois des artistes et de leur public. Des khaïmate sont dressées un peu partout dans le Grand Alger. Les institutions publiques, telles que le TNA et les salles de spectacles proposent de riches programmes. On y trouve des offres variées, toutes aussi séduisantes les unes que les autres. «Je viens avec ma petite famille pour assister à cette soirée musicale chaâbi. Je voudrais particulièrement écouter Mourad Djaâfri», déclare, près de la salle El Mougar, Rachid, la quarantaine, accompagné de sa femme et de ses deux enfants. A noter aussi que la place de la Grande Poste s'est transformée en une plage, pour accueillir un tournoi de beach-volley, organisé par l'APC d'Alger-Centre, et cela attire bien du monde. Les nombreux spectateurs assistent aux matchs à partir de gradins mis en place par les organisateurs et surveillés par la police. «Je suis un amoureux du sport en général, pas spécialement de volley-ball. Je suis passé par là par simple hasard et l'ambiance m'a attiré. Je trouve que c'est une louable initiative», estime un jeune étudiant, en stage à Alger. Un peu plus haut, en face de la faculté centrale, les kiosques de fleurs, de véritables pépinières, font le bonheur des dames. «Je suis ici comme un poisson dans l'eau. Il y a beaucoup de plantes et à chaque fois, je ne m'interdis pas d'acheter un truc, au risque de me ruiner… (rires)», déclare Malika, venue avec sa fille, une adolescente imprégnée déjà de l'amour du vert par sa maman. Shopping zappé ! Malheureusement, de ces soirées dominées par la gaieté et la bonne humeur, on retient également quelques désagréments. Deux essentiellement. D'abord, et tard dans la nuit, l'encombrement qui gâche la balade nocturne des veillards et autres noctambules. «J'ai mis plus d'une heure pour relier la Grande Poste via Didouche. J'ai failli rentrer chez moi bredouille», s'agace Nejm, au bord de sa Peugeot 207 rouge, lui qui a vu rouge pendant de longues minutes. Selon plusieurs témoignages, le même constat est établi au niveau des accès routiers menant aux centres commerciaux d'Ardis et de Bab Ezzouar. Ensuite, il y a le problème de la fermeture de la quasi-totalité des commerces. Les magasins restent fermés malgré les assurances des autorités, et le renforcement du dispositif de sécurité et la proposition de certains avantages comme l'exonération d'impôts. «Mais elles (les autorités) sont malades ! Déjà que la journée nous ne sommes pas rassurés. Elles veulent qu'on ouvre la nuit. Jamais !», témoigne un bijoutier, rencontré à Messonnier avant l'iftar. On trouve un autre argument chez les commerçants, aussi pertinent que le premier, plus commercial cette fois-ci. «J'ouvre pratiquement dans l'unique but de passer le temps. Les gens circulent, regardent et demandent les prix, mais n'achètent rien. Il faudrait peut-être attendre la semaine qui précède la fête de l'Aïd», fait remarquer un vendeur de vêtements, rue Larbi Ben M'hidi. Même les restaurants sont fermés. Les rares établissements qui ont assuré le service de l'iftar baissent rideau juste après, pour ne les rouvrir que le lendemain. Afin de consommer autre chose que les glaces, il faut se rendre dans les grands hôtels. La même situation se répète, en dehors d'Alger-Centre, dans les quartiers populaires. Aux Eucalyptus, dans la banlieue algéroise, par exemple, seuls les bureaux de tabac et peut-être une seule épicerie sont ouverts. En revanche, les villes balnéaires se distinguent par une activité commerciale au-dessus de la moyenne générale, notamment côté restauration. A Aïn Taya, pour ne citer que cette localité, il fait bon prendre son s'hour, avec le bruit lancinant des vagues, à trois mètres. Il était quasiment 4h du matin quand les restaurateurs ont commencé à ranger leurs tables et chaises dispersées sur la plage, signe d'une nouvelle journée d'abstinence qui commence.