Un scandale en chasse un autre. Après les affaires de corruption de Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest, un nouveau pavé vient d'être jeté dans la mare glauque de la gestion des deniers publics, mettant en cause l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP). L'Agence nationale d'édition et de publicité (Anep), qui détient le monopole de la publicité institutionnelle, est accusée, documents à l'appui, par le site électronique Algérie Patriotique dans son édition d'hier, d'avoir abondamment arrosé en publicité trois petites publications aux tirages insignifiants appartenant à un député du Rassemblement national démocratique (RND) et ancien journaliste de la Télévision algérienne, Miloud Chorfi, pour un montant à donner le vertige : 113 milliards de centimes pour seulement une année d'activité (2011-2012). Ce grave préjudice financier, causé au Trésor public par la gestion opaque de la manne publicitaire étatique par cette agence, n'aura certainement pas étonné la noria de journaux roulant pour le pouvoir inscrits au filet social de l'ANEP. Il ne suffit pas d'être un observateur averti pour se convaincre que le choix des supports médiatiques qui drainent la publicité étatique ne répond à aucun critère économique et de marché, mais bien plus à une instrumentalisation politique par des clans du pouvoir pour contrecarrer la presse privée qui développe une ligne éditoriale critique vis-à-vis de ce pouvoir. Le montant balancé par le site électronique et qui ne concerne qu'un seul titre sans envergure, nouvellement arrivé dans le paysage médiatique, donne la mesure de l'ampleur du préjudice subi par l'Etat dans cette affaire de détournement de la manne publicitaire au profit de réseaux d'influence. Si dans les Etats démocratiques, les règles du jeu sur la diffusion de la publicité dans les supports médiatiques sont claires – le tirage, et le niveau de l'audience pour les moyens audiovisuels sont les seuls paramètres qui comptent dans les budgets publicitaires des institutions de l'Etat et des opérateurs privés – il en va autrement dans des pays où l'argent public se confond avec les intérêts privés. L'initiative lancée par quatre journaux, dont El Watan fut le précurseur, de soumettre au contrôle de l'Office de justification de la diffusion (OJD) leurs tirages n'a pas et ne pouvait pas provoquer le déclic attendu pour introduire de la transparence et de la rigueur dans la gestion du portefeuille de la publicité étatique. Les annonceurs publics ont les mains et les pieds ligotés par le monopole exercé par l'ANEP sur la publicité qui décide à leur place des supports éligibles à la publicité institutionnelle et de la part du gâteau allouée à chaque titre. Même les annonceurs privés, nationaux et étrangers sont soumis à travers différentes formes de pression – fiscale, octroi des marchés publics – n'échappent pas à cette loi du milieu. La frénésie, qui s'est emparée des personnalités au pouvoir ou proches, civils et militaires, pour lancer en leur nom ou celui de leur progéniture des journaux, jouissant de toutes les facilitations pour l'obtention de l'agrément d'édition et des locaux, prend les contours d'une véritable ruée vers l'or. Une course au trésor qui préfigure des appétits que ne manquera pas de susciter, dans les sphères du pouvoir et de sa clientèle, l'ouverture de l'audiovisuel au privé. La gestion (politique) de la manne publicitaire étatique qui a été utilisée depuis l'avènement de la presse indépendante comme un moyen d'influence et de contrôle sur la ligne éditoriale des titres relève-t-elle d'une responsabilité interne à l'entreprise ou répond-elle à un cahier des charges élaboré ailleurs, par le clan présidentiel et les officines du pouvoir ? La question vaut-elle seulement d'être posée, tant on ne met même plus les formes pour entretenir et développer cette rapine organisée qui se drape du manteau institutionnel ?