Abdelmadjid Tebboune a raison de déclarer l'échec du logement social participatif (LSP). Les ratés monumentaux de cette formule ont fini par éclater à la face du gouvernement après une décennie de calvaire et de rêves brisés. Des milliers de familles ont connu la désillusion totale avant de renoncer ; d'autres se battent toujours pour obtenir leur toit, trahies par des promoteurs prédateurs et incompétents, et un système incapable de les protéger. A Constantine, cet échec, bien que relativisé par l'administration locale, se traduit par des milliers de logements dont les retards de livraison varient entre six et quinze ans. Dans le cadre du plan de développement quinquennal 2005-2009, la wilaya avait bénéficié d'un programme initial de 8500 logements, complété par 8000 unités. En plus des projets qui traînent, 1397 logements non pas encore été lancés. Rien que pour ce quinquennat, le reste à réaliser s'élève à 6617. Un chiffre équivalent aux quotas d'autres wilayas. La presse rapporte presque quotidiennement des mouvements de protestation de souscripteurs en colère. Devant le cabinet du wali, le spectacle des sit-in est devenu banal. Une partie de la ville nouvelle Ali Mendjeli, l'UV 5, a été baptisée «cimetière du LSP» par les gens du milieu. Ici, plus de 1300 logements attendent toujours d'être livrés, certains datant de 1998, à l'image du projet des 265 unités qui ne trouve toujours pas de solution. La relance du bâtiment durant la décennie 2000 répondait à la surcharge de la ville historique et à la forte pression des demandeurs, d'où un relogement dans l'urgence. Les catégories exclues du logement social ou désespérées de l'impossible attente se sont ruées sur la nouvelle formule, qui a hypertrophié les espérances. Mais l'ardeur est vite retombée avec les premiers couacs : délais explosés, mauvaise qualité du bâti, surfaces rognées, coût augmenté par la seule volonté du promoteur et, en prime, un sentiment d'abandon dont souffrait le souscripteur. A une question posée par un journaliste lors d'une de ses visites à Constantine, Mohamed Nadir H'mimid, alors ministre de l'Habitat, avait répondu, au sujet des clients lésés : «Ils n'ont qu'à s'adresser à la justice.» Or, les clients qui se sont adressés à la justice ont vite déchanté justement. Parmi les dizaines de plaintes, aucune n'a permis aux souscripteurs d'obtenir réparation. En l'absence d'un tribunal spécialisé, la qualité des jugements et la lenteur des procès dissuadent les pauvres clients. Sanctions sélectives Récemment encore, un promoteur du nom de Naceri, connu pour avoir décroché les plus grands marchés, parfois controversés, a obtenu un jugement contre les membres de l'association des souscripteurs à son projet de 1006 logements. Les souscripteurs n'ont fait pourtant qu'aller vers lui pour s'enquérir du sort de leurs logements auxquels ils ont souscrit en… 2005. Des logements pourtant réceptionnés en mars 2012 et qui n'attendent que leur livraison. Pis, en juin dernier, Naceri leur a signifié, par le biais d'un huissier de justice, qu'ils doivent payer le montant de 2,1 millions de dinars dans un délai de 15 jours, faute de quoi le logement leur sera retiré. Ces conditions rédhibitoires qui frisent le chantage ont affolé les gens. Fort heureusement, les services de la DLEP sont intervenus pour lui signifier l'illégalité de sa démarche. Récemment aussi, la wilaya de Constantine a porté plainte contre dix promoteurs pour défaillance. C'est la première fois que les services du wali affichent pareille attitude vis-à-vis des entreprises défaillantes, en dépit des cas flagrants d'abus et d'incompétence. Cette démarche répond en écho à la déclaration faite à la mi-juin par M. Tebboune, qui a promis que les entreprises défaillantes seraient lourdement sanctionnées. «Nous avons transmis dernièrement une circulaire aux autorités locales visant à sanctionner les entreprises engagées dans la réalisation du programme de logement public, notamment le logement social participatif (LSP), et les mettre sur liste noire», avait déclaré le ministre en marge du Forum économique et social du cinquantenaire, organisé par le Conseil national économique et social (CNES). Mais certains promoteurs ont construit un tel pouvoir qu'ils sont devenus intouchables. Ils ont aussi tissé une toile au sein de l'administration pour se protéger. Des liens et des couvertures qui remontent jusqu'au centre de décision, à Alger. D'ailleurs, parmi les dix promoteurs traduits en justice, on ne retrouve aucun nom parmi les pontes. En plus de la condamnation des membres de l'association, les clients de Naceri soupçonnent le cabinet du wali d'être de connivence avec lui. «A chaque fois que nous nous approchons du wali, ses collaborateurs nous envoient balader en usant de prétextes qui manquent de nous culpabiliser», affirme Ghani B., un quadragénaire qui loue depuis 10 ans en attendant son logement. L'argent va aux riches, le logement aussi ! «Nous avons acheté un logement à 1,6 million de dinars. Au bout de quelques années, au lieu de recevoir notre toit, nous avons été forcé d'accepter l‘augmentation du prix à 2,8 millions de dinars. Aujourd'hui, nos logements sont toujours otages du promoteur et il veut qu'on paie cash. Il nous fait payer même les frais des plans et des huissiers qu'il a engagés pour nous saisir. Le pire est que nous n'avons pas droit au contrat !» s'indigne Ghani. Les pauvres clients de Naceri n'ont obtenu aucune preuve contractuelle de sa part, pourtant ils lui ont versé de l'argent. Faisant fi du principe de financement triangulaire, Naceri a interdit aussi à ses clients de recourir aux crédits bancaires. Il veut seulement de l'argent frais ! Ce qui est surtout connu sur la place publique, c'est que des promoteurs véreux obtiennent l'aide de la CNL pour construire des logements sociaux locatifs plafonnés à 2,8 millions de dinars, se débarrassent ensuite de leurs souscripteurs, «petits payeurs» et râleurs. A la fin, ils revendent les logements au double du prix plafonné à un autre type de clientèle, qui paye cash et en une seule tranche, s'accommodant ainsi du retard sans rouspéter. Cette formule a beaucoup servi aussi pour le blanchiment d'argent. Certains nouveaux quartiers de la ville nouvelle sont occupés en majorité par des acheteurs venus de Aïn M'lila et Aïn Fakroun, capitales de l'informel. Ces pratiques sont reconnues par l'administration locale. «Il y a, hélas, beaucoup de pratiques frauduleuses chez les promoteurs», regrette, impuissant, Fodil Benyounès, chef du service logement à la DLEP de Constantine. «Certains ont fait preuve d'irresponsabilité, surtout quand ils sont partis acheter des 4x4 avec l'argent des premiers versements de leurs clients», raconte-t-il. Mais pour ce dernier, c'est toute la chaîne du logement LSP et des formules avatars qui a été piégée par des incohérences. D'ailleurs, explique-t-il, il a fallu attendre 2011 avant que le ministère de l'Habitat ne publie un arrêté fixant les critères de sélection des promoteurs. Avant cela, les comités techniques de wilaya agissaient à leur guise et confiaient les projets au premier venu. En aval, le système n'a pas changé suffisamment afin d'accompagner les efforts de l'Etat pour répondre aux besoins. Le dindon de la farce La réglementation prévoit, par exemple, qu'en cas de défaillance du promoteur, la justice peut faire appel à l'administration pour achever le projet avec l'argent déposé par le promoteur au fonds de garantie (FGAR). L'ennui, c'est que l'Etat n'a pas prévu des mécanismes pour faire bouger la justice, regrette encore M. Benyounès ; une omission qui neutralise toute la démarche contre les défaillants. L'absence de coordination et de définition précise des rôles est aussi en cause. Ce qui est interdit par la DLEP peut-être permis par la DUC et vice-versa, a indiqué M. Benyounès. Le cas d'un autre promoteur, Driss Maghraoui, lui aussi réputé intouchable (il est actuellement mouhafedh du FLN et candidat au poste de secrétaire général du parti) est éloquent. Son projet de 450 logements LSP, situé sur l'axe reliant Constantine au Khroub, en a rendu malade plus d'un. A commencer par les malheureux souscripteurs qui attendent depuis huit ans. «De quel droit peut-on bâtir un projet sur un terrain non viabilisé ?» s'interroge M. Benyounès, en précisant que le projet en question a été inscrit en 2002 et n'est toujours pas achevé ni même viabilisé. Mais le vent tourne souvent contre les principes du droit. L'assiette de terrain controversée a fini par être miraculeusement repêchée et versée sous le chapitre d'utilité publique, ce qui va amener l'Etat à payer pour les riches et prendre en charge la viabilisation. Du tout bénef et pour l'ancien propriétaire du terrain et pour le promoteur ! Pour certains, l'apport du secteur privé à Constantine a été indispensable pour la relance du bâtiment. Pour preuve, sur les 14 000 logements LPA, prévus dans le cadre du quinquennat 2010-2014, seuls les projets confiés aux entreprises privées ont démarré. 8000 unités dépendant de promoteurs publics sont toujours en attente alors que le quinquennat s'achève. Mais une partie de ce secteur, qui a prospéré grâce à la manne étatique, a manqué à ses engagements et s'est servi de manière débridée des largesses de l'Etat et de l'absence de contraintes, parfois en mettant en jeu la paix sociale. Le maillon faible du système, le souscripteur, est devenu le dindon de la farce pour les arnaqueurs.