Que signifie la « légitimité religieuse » en Algérie et qui l'incarne ? La question est cruciale au moment où s'enclenche un débat fondamental sur le code de la famille. Est-ce le président de la République, gardien de la Constitution - donc de son article 2 - qui est porteur de cette « légitimité », la déléguant, pour sa mise en pratique, au ministère des Affaires religieuses et accessoirement au Conseil supérieur islamique ? Ou est-ce une autre entité et laquelle ? Les partis islamistes, principalement le MSP et Ennahda, ainsi que diverses organisations de même obédience ont tranché cette question : ils n'arrêtent pas de suggérer publiquement qu'ils sont les gardiens du culte musulman avec le droit de dire ce qui est licite et ce qui ne l'est pas et de revendiquer le droit de parler au nom de tout le peuple algérien. Aucune instance officielle, politique ou religieuse, ne s'est jusque-là manifestée avec force pour remettre les pendules à l'heure et mettre en garde autant sur les « usurpations » de fonctions que sur les dérives partisanes. La vocation principale d'un parti politique est d'accéder au pouvoir, et la loi lui interdit toute référence et toute instrumentalisation de la religion ; ce qui devrait automatiquement ôter aux formations islamistes le « manteau divin » avec lequel elles se drapent, et les placer en position de hors-la-loi. La législation actuelle algérienne est intervenue après l'épisode dramatique de l'ex-FIS du début des années 1990, lorsque le parti islamiste se considérait comme l'« intermédiaire sacré » entre Dieu et les Algériens, délivrant fetwa sur fetwa pour tracer la meilleure route qui mène, selon lui, au Ciel. On sait ce qu'a coûté aux Algériens l'incroyable prétention du parti dissous. D'aucuns expliquent aujourd'hui que les silences ou les réactions timides et timorées des autorités officielles tiennent au fait qu'elles ne veulent pas brusquer une société fragile et traumatisée et ouvrir un « autre front ». Mais le MSP et Ennahda, eux, ne s'embarrassent d'aucun scrupule pour jouer sur « la fibre sensible » du sentiment religieux, livrant sans prendre des pincettes leur vision du code de la famille, pourtant très contestable et facilement critiquable. Au lieu de mettre le paquet sur les arguments les plus autorisés en matière religieuse qui plaident pour une vision d'ouverture et de tolérance, la télévision opte officiellement pour la « frilosité » au prétexte qu'elle refuse d'être une « tribune de guerre ». Les officiels semblent, eux, suspendus aux lèvres du président de la République qui, sur cette question, paraît scruter le rapport de forces politiques avant de se prononcer. Si le chef de l'Etat recule sur les amendements retenus par la commission de réforme, il fera stagner davantage la société, en même temps qu'il avalise le rôle dangereux de « tuteurs religieux » des Algériens que cherchent à s'octroyer les partis islamistes.