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Les cent ans de la potasse
WITTELSHEIM (SUD DE L'ALSACE)
Publié dans El Watan le 12 - 09 - 2004

1904-2004. Le petit village de Wittelsheim, au sud de l'Alsace (France), vient de fermer à jamais ses mines de potasse. Et en guise d'hommage aux mineurs, la communauté Mulhouse-Sud-Alsace initie, durant toute l'année 2004, une fête intitulée « 100 ans de potasse, une année de festivités ». Notre journaliste a pris part à cette fête et a reporté les derniers moments de la potasse alsacienne.
André n'arrive pas à retenir ses larmes. Non seulement parce que la mine de potasse de Wittelsheim, un petit village au nord-ouest de la ville de Mulhouse au sud de l'Alsace, fermera définitivement ses portes et sera démolie dans si peu de temps, mais aussi parce que son frère, un ancien cadre dans cette mine, n'est plus là pour assister à ces ultimes moments. Chaque coin dans cette mine lui rappelle son portrait : le bain des mineurs, la modeste cafetière installée au coin d'un escalier, les torches et surtout les uniformes accrochés, comme par le passé une fois le travail terminé, par des fils au plafond de façon à éviter qu'elles soient rongées par les rats. « Il a passé toute sa vie ici. Il aimait son métier, et tout le monde l'aimait... Il est décédé il y a trois ans », regrette-t-il. Un ancien directeur de cette mine, aujourd'hui à la retraite, est venu, lui aussi, prendre part aux festivités du centenaire de la potasse à Wittelsheim. A pas lents, il s'approche d'André et met sa main sur son épaule : « ...Ton frère manque parmi nous aujourd'hui. Il était un brave type. » Sans plus. Le vieil homme poursuit sa dernière tournée dans les locaux de la mine entre ses matériaux et ses produits qu'on a exposés pour la circonstance. André, lui, essaie au mieux de dominer ses émotions. Mais c'étaient des moments très forts. La fin des Kali Kumpel Avec la fermeture de cette mine appelée Carreau d'Amélie et d'autres encore situées dans tout le bassin potassique alsacien, c'est toute une page de l'histoire que viennent de tourner le petit village de Wittelsheim, la ville de Mulhouse et l'Alsace entière. Découverte en 1904 par Amélie Zürcher d'où le nom donné à cette mine en collaboration avec Joseph Vogt, technicien en rouleaux de cuivre et Jean-Baptiste Grisez, sondeur alors qu'ils effectuaient des sondages pour la recherche de pétrole ou de la houille, la potasse a fait pendant près d'un siècle la gloire de cette petite et riche région du nord-est de la France. Questionnée en 1934 par la Gazette des Mines sur son aventure avec Vogt et Grisez, Amélie Zurcher répondait en visionnaire : « J'étais persuadée que nos terres recelaient une immense richesse. » L'aventure était loin de constituer, pour elle, une entreprise illusoire. La mine de potasse d'Amélie à Wittelsheim, la toute dernière qui extrayait, encore de la potasse jusqu'à la fin de l'année 2003, devra fermer définitivement ses portes, après qu'un feu eut été déclenché en septembre de la même année dans son centre souterrain d'enfouissement de déchets industriels (Stocamine). C'est du moins la raison directe. Car depuis 1995, la fermeture des mines de potasse d'Alsace et la réhabilitation des nappes phréatiques de tout le bassin potassique alsacien étaient déjà dans l'agenda. En juin 2002, un plan social a été signé entre les Mines de potasse d'Alsace (MDPA) et les mineurs qu'on appelle en dialecte alsacien les « Kali Kumpel » ou « les gueules blanches de la potasse ». Ce plan suggérait d'orienter les mineurs vers d'autres activités plus adaptées à leur profil et convenait de créer quelque 2 700 emplois autour du projet de remise en l'état du bassin potassique alsacien. Reprenant son naturel, André m'explique que « la potasse n'est plus utilisée de nos jours dans la fabrication des savons noirs et des engrais. D'autres procédés plus modernes et plus écologiques ont été développés dans les pays anglo-saxons comme le Canada qui produisait également de la potasse ». Il était donc certain que l'on s'acheminait vers la fin de cette activité. Et en guise d'hommage aux mineurs, la communauté Mulhouse-Sud-Alsace l'équivalent chez nous d'une wilaya déléguée initie durant toute l'année 2004 une fête qu'elle a intitulée « 100 ans de la potasse, une année de festivités ». André, journaliste au grand quotidien régional, les Dernières Nouvelles d'Alsace, est chargé justement de couvrir l'ensemble de ces festivités. Et c'était par une valeureuse occasion que je me suis retrouvé avec lui à Wittelsheim le 14 juin dernier, une journée durant laquelle les syndicats Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Confédération générale du travail (CGT) et les associations des anciens mineurs ont occupé le site d'Amélie sur une superficie de deux hectares. Alors que certaines y ont monté des photos géantes à l'entrée de la mine et exposé des engins de l'époque dont même un wagonnet qui servait, selon un ancien mineur au transport des travailleurs qu'à l'acheminement de la potasse, d'autres associations ont présenté dans ce qui était le bloc administratif de la mine des plaques de potasse, des coupures de presse, des photos anciennes de mineurs, des logos et autres supports publicitaires ainsi que des timbres retraçant la vie des « gueules blanches de la potasse ». Le soir, les mineurs ont prévu une soirée artistique presque à huit clos que devra animer leur troupe musicale. « Ils savent aussi faire la fête », me fait remarquer André. Wittelsheimois chez Amélie Faisant le tour des expositions, nous marquons une halte André et moi au stand de Franc. Un Alsacien de souche et amateur de philatélie. Il a exposé des timbres qui retracent la vie des mineurs, et nous a fait plonger, aimablement, dans cet univers passionnant. « J'ai classé les timbres en fonction de l'annexion de l'Alsace par les Allemand d'abord et les Français par la suite. Durant l'époque allemande les timbres, comme vous voyez ici, étaient d'un grand format et portaient des écritures en allemand. Mais quand l'Alsace est annexée par la France, les timbres ont changé et le format et la langue. J'ai collectionné, également, beaucoup de correspondances anciennes des mineurs ayant trait à la sécurité sociale. » Avec son accent alsacien mélange de français et d'allemand, Franc nous rappelle que « le système de la sécurité sociale a été inventé la première fois par les mineurs. Ils étaient les premiers à cotiser à la sécu du fait qu'ils étaient les plus exposés aux maladies dont la tuberculose qu'ils attrapaient, facilement, au fond des mines ». Franc a pu collecter ce fonds philatélique grâce à la correspondance. A titre d'exemple, il m'explique, tout fier, que quelques-uns de ses contacts en ex-URSS lui ont envoyé des timbres qui datent de l'époque allemande. « Et c'est pas fini ! », me disait-il. L'histoire de la potasse à Wittelsheim n'est pas seulement l'affaire des mineurs. Les habitants sont impliqués. Chacun à sa façon. Denis Schott, lui, a collectionné tous les objets ayant trait au bassin potassique alsacien : des protège-cahiers par exemple, de petites voitures, des cendriers, des blocs-notes, des pins, des boutons de manchettes, des affiches, des cartes postales, des thermomètres et des plaques émaillées bleues avec la célèbre cigogne, emblème de la potasse d'Alsace. Ce logo a été restylisé en 1930 par le célèbre dessinateur de Colmar (nord de Wittelsheim), Jean-Jacques Waltz dit Hansi. Avec sa collection, Denis Schott aura contribué à la rédaction de deux éminents ouvrages sur l'histoire de la potasse en Alsace : Puits et cités des MDPA de 1904 à 1939, écrit par Eugène Bertrand et Wittelsheim à la charnière du siècle cosigné par René Meyer et Christian Fretay. Sachant que je suis Algérien, Denis Shott m'informe que beaucoup de mes compatriotes ont travaillé dans les mines de potasse d'Alsace, durant la révolution notamment. « Les immigrés étaient nombreux dans les mines. Ils y avaient des Algériens, des Marocains mais surtout des mineurs de l'Europe de l'Est. » Ce jour-là, d'anciens mineurs polonais sont venus prendre part aux festivités de la potasse. Après un long trajet à bord d'un bus depuis Varsovie, ils descendent un par un sur le sol d'Amélie. Ils ont toujours « les gueules blanches ». Mais surtout, aujourd'hui, des cheveux blancs, comme la neige. Leurs regards qui se posaient sur les anciens engins en disent long. « Ils vont assister ce soir au gala musical », me dit furtivement André. Un Algérien de Wittelsheim Mon compagnon a dû remarquer quelque chose. « Attends-moi, je reviens ! » Il parcourt une dizaine de mètres pour aborder un ancien mineur qu'il connaissait sans doute. « Il est d'origine algérienne », me dira-t-il plus tard. Il lui apprend qu'un journaliste algérien est là et qu'il souhaite lui parler. Mais l'homme refuse. Mieux, il disparaît carrément du site de la manifestation. « Mais pourquoi ne veut-il pas me parler ? », demandé-je à André qui revenait bredouille. « Il a honte. C'est un harki. Il fait partie de ces gens qui, une fois la révolution algérienne terminée, ont choisi la France. Tu sais, en Alsace, il y a une forte communauté de harkis. Ils sont complètement intégrés mais ils ont du mal à assumer leur passé. » Dommage ! En fin de journée alors que nous avions parcouru toute la mine d'Amélie et fait le tour de toutes les expositions, nous devions rentrer à Mulhouse. André allume le moteur de sa voiture et sur le pare-brise des gouttes de pluie ont déjà commencé à se former. « Il va pleuvoir ! », m'annonce-t-il. Et comme un drap, des nuages sombres survolaient tout le site de la mine. Un triste décor. « Partons... », me suggère-t-il. Avant de s'engager sur l'autoroute D 430 menant à Mulhouse, mon confrère prend le soin de me faire visiter le village de Wittelsheim où habitaient les mineurs. Les 3000 logements qui composaient le village et qui appartenaient aux Mines de potasse d'Alsace (MDPA) ont été cédés, ces dernières années, à des bailleurs locaux. « Les mineurs avaient tout par ici : une école, un dispensaire, des petits commerces, et ils pouvaient même faire du jardinage puisque chaque logement possèdait un espace vert. En général, ils se déplaçaient rarement hors du site d'Amélie », m'explique-t-il. « Mais aujourd'hui, il ne reste rien, plus rien de tout ça... », déplore André. Le bruit du moteur se fait de plus en plus aigu. Nous sommes presque à l'entrée de l'autoroute D 430.

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