Au-delà des spéculations sur le départ et le renforcement de certains ministres du gouvernement Abdelmalek Sellal, il y a une nomination intrigante que de nombreux hommes de loi qualifient de violation caractérisée de la Constitution. Il s'agit tout simplement de la nomination de Tayeb Belaïz au poste de ministre de l'Intérieur alors qu'il assure le mandat de président du Conseil constitutionnel. En effet, si l'on se réfère à la Constitution, notamment son article 164 alinéas 3 et 4, le président du Conseil constitutionnel est désigné par le premier magistrat du pays pour un mandat unique de 6 ans, qui ne peut être interrompu qu'en cas de décès, de démission ou d'empêchement durable. «Une disposition qui permet de garantir la neutralité et surtout l'indépendance de la plus haute institution du pays, dont la mission est justement de veiller au stricte respect de la Constitution. Or, en mettant fin au mandat de Tayeb Belaïz à la tête du Conseil constitutionnel pour le nommer ministre de l'Intérieur, le président viole la Loi fondamentale. Tout simplement parce que Tayeb Belaïz n'a ni démissionné de son poste de président du Conseil ni fait l'objet d'une grave maladie ou tout autre empêchement qui l'oblige à écourter son mandat», affirme un ancien membre du Conseil constitutionnel. Un avis largement partagé par des constitutionnalistes qui, eux, parlent «d'une grave dérive». Pour nos sources, «il ne s'agit pas de la première, puisque durant ses 13 années de règne, Bouteflika a consommé six présidents du Conseil, tous partis dans des conditions illégales», révèlent nos interlocuteurs. Selon eux, «même dans les moments les plus difficiles que le pays a connus, le mandat du président du Conseil a toujours été respecté». L'exemple le plus révélateur a été le mandat de Abdelmalek Benhabylès en mars 1989, dans une situation des plus critiques liées aux évènements d'Octobre 1988, qui a poursuivi son mandat jusqu'en mars 1995, en dépit de la démission de tous les présidents qui ont succédé à Chadli Bendjedid (celui qui l'a nommé) après sa démission en janvier 1991. Dès sa fin de mandat, Liamine Zeroual avait désigné à sa place, en mars 1995, Saïd Bouchaïr. Avec la mise en place des nouvelles institutions (Sénat et Conseil d'Etat) prévues par la nouvelle Constitution de 1996, la composante du Conseil a été renouvelée dans sa totalité, sauf le président qui a quitté son poste en avril 2002, alors que Bouteflika venait tout juste d'asseoir son pouvoir. «Nous ne savons pas si Saïd Bouchaïr a prolongé son premier mandat d'une année (de 2001 à 2002) ou s'il a été reconduit une seconde fois, en 1998, avec le renouvellement de la composante du Conseil. Cependant dans les deux cas, le nouveau président de la République a violé la Constitution. Saïd Bouchaïr devait partir soit en 1998, soit en 2001», notent nos interlocuteurs. Le poste de président reste vacant durant plusieurs semaines avant d'être confié Mohamed Bedjaoui, en mai 2002, pour un mandat de 6 ans. Trois ans plus tard, en mai 2005, le Président nomme Bedjaoui au poste de ministre des Affaires étrangères et, de ce fait, met fin à son mandat de président du Conseil. Une autre violation de la Constitution qui s'ajoute à cette longue vacance de 4 mois (de mai 2005 à septembre 2005), avant que Boualem Bessaih ne soit désigné pour le remplacer. Durant les trois mandats de Bouteflika, Bessaih peut se targuer d'être le seul parmi les six présidents qui se sont succédé à avoir achevé son mandat. Mais – parce qu'il y a un mais – il ne l'a pas quitté comme le prévoit la Constitution. Il a bénéficié d'une rallonge de six mois (de septembre 2011 à mars 2012), alors que la Loi fondamentale ne le permet pas. «Ce qui constitue une violation caractérisée de l'article 164 de la Constitution», précisent nos sources. Boualem Bessaih est remplacé par Tayeb Belaïz, alors ministre de la Justice, au mois de mars 2012. Prise à la suite de nombreuses frasques et un bilan catastrophique en matière de réforme de la justice, la décision a suscité de sévères critiques des juristes. Légitime. Tayeb Belaïz n'a pas démissionné de son poste de ministre alors que l'alinéa 2 de l'article 164 de la Constitution, révèlent nos interlocuteurs, stipule : «Aussitôt élus ou désignés, les membres du Conseil constitutionnel cessent tout autre mandat, fonction, charge ou mission. Par conséquent sont incompatibles avec la fonction de juge constitutionnel tout mandat parlementaire, fonction gouvernementale ou toute autre activité publique ou privée. Tout comme est interdite, en vertu de l'article 10 alinéa 3 de l'ordonnance organique relative aux partis politique, l'adhésion du membre du Conseil constitutionnel à tout parti politique.» Or, le communiqué de la Présidence relatif à sa désignation en tant que président du Conseil n'a pas mentionné une quelconque fin de mission à la chancellerie et aucun autre communiqué officiel n'a fait état de sa démission jusqu'au 4 septembre 2012, date de l'annonce de la composante du premier gouvernement de Abdelmalek Sellal, dans lequel Mohamed Charfi est nommé ministre de la Justice. Mais le mandat de Tayeb Belaïz n'a duré que 18 mois. Certaines sources bien informées estiment que «la fin de mandat de Tayeb Belaïz était prévisible en raison des prochaines échéances. La Constitution lui confère plusieurs missions capitales. Il est consulté par le président de la République en cas d'instauration de l'état d'urgence ou d'instauration de l'état de siège et en cas de conjonction de la vacance définitive de la présidence de la République et de la présidence du Conseil de la nation, tel que prévu par l'article 88 alinéa in fine de la Constitution, il assure la charge de chef de l'Etat». En clair, le président du Conseil constitutionnel est le troisième homme de l'Etat après le président de la République et le président du Sénat. Les conditions de sa désignation et de sa mise de fin de mandat constituent un enjeu considérable pour ceux qui refusent de lâcher les rênes du pouvoir, quitte à fouler aux pieds les dispositions de la Constitution…