Midi. Tout le monde est allé déjeûner. Tout le monde ? Non. Un irréductible chercheur est encore là. Assis au milieu de ses outils, les mains pleines de cambouis, paisible dans un labo dont la structure a été fragilisée par le séisme de mai 2003. Qu'à cela ne tienne, ceux qui le connaissent le savent : le ciel peut lui tomber sur la tête mais il en faut beaucoup plus pour pousser le professeur Atsouri à marquer une pause. « Pour moi, se reposer, c'est arrêter de faire quelque chose pour en commencer une autre », lance-t-il. Ancien de l'INA, cet homme qui devait y rester six mois, restera finalement trente ans. Il connaît tous les coins et recoins de l'institut, les engins, les départements, et surtout l'histoire de ce lieu. Le domaine est grand et les bâtisses nombreuses : cité universitaire, prioritaire aux étudiants de l'institut, laboratoires de recherche, jardins et champs ; sans compter les murs qui abritent les onze départements dont la botanique, l'économie rurale, la science du sol et la zoologie agricole et forestière. Chaque département propose ses propres options : alimentation et nutrition humaines, protection des végétaux et phytopathologie, 422 modules en tout. Certains départements sont encore ouverts aux étudiants qui, en plein juillet, s'adonnent à la mécanique. On est au département génie rural, section machinisme et agro-équipement. Un véritable musée d'antiquité agricole, certains l'appellent la caverne d'Ali Baba des tracteurs et des moissonneuses-batteuses. L'engin le plus ancien, un tracteur Renault des années 1920, laissé à l'abandon au désespoir du professeur. Un bijou qui ferait rêver plus d'un collectionneur. Des outils agricoles à n'en plus finir, endommagés et poussiéreux. Mais à l'institut, particulièrement dans ce département, il ne faut pas avoir peur de se salir ou de mettre la main dans le cambouis. Fouzia, étudiante, cinquième année, le confirme. Désormais, plus rien ne lui fait peur. Elle dit avec fierté avoir changé les bougies de cette gigantesque moissonneuse-batteuse de plus de trois mètres de haut. Ce qu'elle craint, par contre, est plus l'état de l'école et le manque de matériel. « Certaines machines n'ont jamais fonctionné parce que personne ne sait les faire marcher », se désole Fouzia. Mais elle ne regrette rien. Même pas les bourses à l'étranger que les majors de promotion n'obtiennent que rarement. « Elles existent, mais on ne les voit jamais, parce qu'elles sont, sans doute, attribuées aux autres », dit-elle. Pourtant, étudier à l'INA est un dur labeur. Pour intégrer l'institut, il faut d'abord obtenir une moyenne minimum de 11/20 au baccalauréat série scientifique puis réussir à jongler avec tous les modules, surtout en troisième année où les étudiants se retrouvent avec 19 modules et peu de livres à leur disposition. A cela s'ajoutent les tracasseries du transport, du logement et autres. Pour beaucoup d'entre eux, tout cela contribue à faire baisser le niveau, et c'est la démotivation. Pour le professeur Atsouri, il y a d'autres raisons qui entretiennent ce climat de dépit. L'arabisation, par exemple. « Les étudiants ne maîtrisent plus aussi bien le français, surtout le langage scientifique. Certains nouveaux professeurs sont arabisés alors que les examens sont censés être en français. Les étudiants sont complètement déboussolés ! », dit-il. Pourtant, on avait par le passé tenté de « faire quelque chose » pour améliorer le niveau des étudiants. Sans grand résultat. L' expérience de l'Ecole nationale supérieure d'agronomie (ENSA) n'a duré que quatre ans, de 1997 à 2000. Le statut de grande école avec concours d'entrée aurait pourtant permis, selon le professeur Atsouri, de rehausser le niveau. Seulement, des problèmes administratifs monstres se sont abattus sur les étudiants. Les universités, en toute illégalité, refusaient catégoriquement de faire suivre les dossiers de leurs étudiants qui avaient obtenu le concours, sous pretexte qu'elles perdaient leurs meilleurs étudiants. Résultat : certains d'entre eux sont arrivés en fin de cycle sans avoir de dossier et donc pas de diplôme. Comparé aux années précédentes, le niveau à l'INA est en constante régression, cependant l'enseignant maintient que cela reste dans l'ensemble satisfaisant. Les étudiants, quant à eux, ne se plaignent pas. Ils estiment qu'ils ne sont pas trop mal lotis. Ils effectuent des stages à l'intérieur du pays, et souvent, pour eux, il suffit qu'ils se rendent dans un champ pour appliquer ce qu'ils ont appris. Ils regrettent simplement de ne pas avoir de bus pour se déplacer sur les terres de l'INA, du moins ce qu'il en reste ; sur 700 ha, seuls 80 ha sont encore à leur disposition. Des terrains situés du côté de Bab Ezzouar, Oued Smar et Dar El Beïda.