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Les andalouses ne font plus rêver
Une journée au complexe touristique d'oran
Publié dans Liberté le 19 - 08 - 2007

Pour bien comprendre la topographie du terrain, il faut se dire qu'il y a deux sites : le complexe haut de gamme dont on essaie de préserver la vocation et où l'entrée est filtrée, et l'immense bric-à-brac qui s'y est greffé et que nous appellerons “Kamelot City”.
Il faut reconnaître une chose aux Oranais en plus de leur bagou : ils sont imbattables dès lors qu'il s'agit de faire de l'esprit. Les pauvres Mascaréens en savent quelque chose avec toutes les bonnes blagues que les facétieux Wahranis ont créditées sur leur compte. Aussi curieux que cela puisse paraître, ces “victimes” qui sont les premières à en pouffer... en redemanderaient... Je ne sais pas dans quelle sympathique lessive ces bulles de savon sont fabriquées mais elles finissent par toujours éclater dans le fou rire.
Par contre, quand il s'agit de marketing, le talent oranais n'a pas de limite. Lorsqu'on traverse la côte ouest, par exemple, la première chose qui attire le regard, surtout au niveau d'Aïn Turck, c'est l'extraordinaire originalité des enseignes des restaurants. C'est tantôt la “Vieille Marmite”, tantôt le “Bord d'eau”, tantôt le “Mistral”, des noms qui chatouillent les sens avec ce que cela suppose comme thym et marjolaine qui fleurissent les assiettes. Pour ces bonnes tables, les chefs portent, semble-t-il, des toques amidonnées. Ce mobilier de la côte ne s'est pas monté tout seul, on s'en douterait. Des centaines de millions de dinars ont été investis par le privé sur les deux rives de cette bande maritime en hôtels de luxe, fast-foods, piscines à l'eau de mer, night-clubs, salons de thé et autres centres de loisirs, soit du Rocher de la vieille au complexe des Andalouses. Là, malheureusement, s'arrête le charme. Net. Sans transition, l'appétit avec. Il est 9h et la moitié des résidents font la grasse matinée sans doute groggy par la bamboula de la veille. L'autre moitié bâille en étendant sur le rebord des fenêtres d'hôtels, serviettes de toilette, de bain, maillots et petites lingeries discrètes. Comme à la maison. Pour bien comprendre la topographie du terrain, il faut se dire qu'il y a deux sites : le complexe haut de gamme dont on essaie de préserver la vocation et où l'entrée est filtrée, et l'immense bric-à-brac qui s'y est greffé et que nous appellerons “Kamelot City”.
Petites scènes d'un jour ordinaire
Au beau milieu de l'allée centrale, censée mener au complexe, un livreur débraillé décharge d'une camionnette des sacs de pommes de terre. Juste devant le “Tropical”.
Rassurez-vous, l'établissement est un trompe-l'œil. Comme son nom ne l'indique pas, il n'est spécialisé dans aucun plat des Caraïbes et ses couverts n'ont ni le parfum de l'océan ni la saveur vanillée des atolls. C'est un prosaïque trou percé dans l'ex-écurie du domaine Gomez et transformé depuis en gargote. Diantre ! Il faut bien que les gens mangent à leur faim, la mer — c'est connue — creuse. Les frites apparemment ne suffisent pas, les petits kiosques à chips et pop-corn ont vite pris le relais en s'incrustant partout où il est possible d'occuper deux mètres carrés avec la même rapacité que les sangsues. En attendant que les premiers Karsan en provenance d'Oran et de Mers El-Kébir déversent leurs foules et leurs marmailles, des garçons de café sanglés dans leur tenue réglementaire somnolent sur des chaises longues, un œil aux aguets. Un client est si vite arrivé ! Tandis que les femmes de ménage passent l'ultime coup de serpillière sur les parquets. Les premiers baigneurs papotent déjà sous les parasols un pied dans l'eau et l'autre sur le sable. Sur la berge, des estivants en chèche et gandoura, et même en robe de chambre, s'agglutinent autour d'une barque de retour du large. Le poisson est presque donné compte tenu des prix proposés par le pêcheur. Vraisemblablement, un armateur, tout fier de sa moisson. C'est le marché du matin qui commence. Piano, piano. Au fond, ce n'est même plus une plage camelot, c'est une kermesse avec même son forain, puisqu'un manège y a été planté, et pire, peut-être un douar.
Oui, un douar, pourquoi avoir peur des mots. Il ne manque à la dechra ni les chiens errants ni les ruines d'une ancienne ferme, ni la tente ni même les chevaux puisqu'ils sont loués. Seule la partie villas et bungalows échappe de justesse à la tondeuse du tourisme de masse. Des restaurants BCBG ont bien essayé de monter leurs activités au cadre encore sélect et feutré de cette enceinte qui n'a pas été rongée par les prédateurs du dimanche, mais ils peinent à faire salle comble. L'élite, de toute évidence, s'est encanaillée ! Le décor africain des uns ou la musique chaâbi des autres n'a malheureusement pas tenu devant les choix du lumpenprolétariat : du pain et des bains “bess”. Il est presque midi et le soleil est impitoyable. Ça braille de tous les côtés et le raï diffusé à fond la caisse fait monter la pression. Le sol est comme chauffé à blanc. L'air aussi. Pas le moindre souffle ou la moindre brise pour adoucir une étuve où tout le monde suffoque. Aucune poche d'ombre non plus sinon sous les parasols, et les plagistes affichent complet. Ils doivent sûrement se frotter les mains, et tant pis pour les retardataires, ils bronzent à vif directement sur le cambouis. La noria de bus ne s'est pas arrêtée pour autant. Ici à “Kamelot City” tout le monde descend. Qui avec son sac à provisions et sa ribambelle de mômes teigneux, qui avec son matelas pneumatique et sa petite pelle en plastique pour bébé. Une seule direction pour tous : la berge. Pressés d'en découdre avec les vagues, certains enfants ont déjà piqué de la tête avant même que leurs parents ne prennent leur quartier sur la plage, et souvent tout habillé… Les adultes, eux, parant au plus pressé : l'intendance. Les cabas sont aussitôt ouverts. Pour les gosses qui ont un petit creux, des en-cas rapides faits de pain et d'œufs bouillis font l'affaire. Les pastèques sont ensuite enfouis dans le sable, la bouteille de coca de deux litres suit immédiatement.
Et la fête commence !
Une mémé pour la baraka est invitée à mouiller ses pieds dans l'eau. Elle sera assistée pour cela par ses petits-enfants qui lui tiendront la main. Fatiguée par le poids des ans, l'octogénaire préfère s'accroupir et laisser à l'écume des vagues le soin de caresser sa douloureuse carcasse. Entre-temps, les familles ne cessent de grossir le rivage. De plus en plus. Du reste, nombre d'entre elles n'ont atterri ici que parce qu'elles n'ont pu trouver place ailleurs. Elles ont bien essayé Saint-Roch, Bousfer, Paradis-Plage ou les Corales, le littoral en ces jours de vacances et de farniente n'est pas facilement accessible. Il est même hors de portée. Peut-être pas pour tous, car les Oranais, qui connaissent parfaitement la région et ses pointes de saison, ont pris l'habitude depuis bien longtemps de planter leur parasol ailleurs, au-delà des montagnes des Andalouses.
À 23 km, à l'ouest. Par tranquillité, par souci d'éviter la promiscuité. Nous sommes à El-Madagh, à la limite de la wilaya d'Aïn Témouchent. Prolongement de la corniche mais, cette fois, par des vallées encaissées, le site est absolument magnifique, sauvage, naturel. C'est à partir de ballons verdoyants qui culminent à plus de 500 mètres d'altitude, au milieu d'une débauche de pins que l'on découvre la baie et surtout la couleur turquoise de son plan d'eau que rien n'agite, pas même les vents apaisés du large.
Dans ce coin du bout du monde, seules deux choses sont autorisées pour les baigneurs : un parasol et une voiture. Le reste est totalement prohibé. Pas de jet-ski tapageur ni de pédalos, pas de campeurs ni de camping. Rien de tout cela. Pas de béton non plus. Et vous ne risquez pas de trouver un restaurant, un fast-food, un night ou un cybercafé. Pas de raï non plus. Ni même de vendeurs de beignets, de limonade, de cigarettes ou de m'hajeb. Les hâbleurs des côtes, les éphèbes de service, les minets, les galantes et les pagailleurs professionnels n'ont aucune chance de faire de vieux os ici.
Parce qu'ici, les familles se connaissent, se respectent. Elles viennent pour se reposer, se requinquer, se ressourcer et prendre des forces avant que le rouleau compresseur de la routine ne les broie, ne les happe.
C'est pourquoi, elles restent évasives sur ces jardins secrets, ces espaces intimes qui pourraient attirer à force de pub ou de bouche à oreille les mouches des faubourgs et les moustiques des bas-fonds. Pour la petite histoire, Madagh est la zone la plus poissonneuse du pays. Et personne ne le criera sur les toits. Pensez donc ! C'est là également que l'on peut trouver enfouis, à 10 ou 20 centimètres du sol, les plus beaux galets du monde taillés par le temps dans des formes géométriques époustouflantes. Ils sont de toutes les couleurs. Cela va du pastel à l'opale en passant par le rouge émeraude. Pour les chasseurs de souvenir, c'est vraiment la cerise sur le gâteau.
Il est 18h et le soleil décline
Les premières familles lèvent l'ancre. Les unes prendront par le village de Boutlelis, puis l'autoroute et rentreront à Oran fraîches comme des fleurs parce qu'elles se seront dispensées des embouteillages de la corniche et les autres emprunteront la bretelle très peu connue de la corniche supérieure pour aboutir au même résultat. Non sans marquer une halte auparavant au terrain Rody, une fermette de 4 hectares en bordure de route pour essayer en rase campagne… les derniers cosmétiques ! Une fantaisie d'une technicienne supérieure de l'agriculture qui a décidé de cultiver toutes sortes de plantes médicinales. Et c'est ainsi qu'elle est arrivée à fabriquer, grâce à son seul savoir-faire… de la gelée royale, des potions contre les champignons des doigts de pied, les chutes de cheveux, les rides crevassées et très peu esthétiques. La jeune paysanne a même réussi à monter son petit rucher et à commercialiser en pots de 500 grammes un miel pur à cent pour cent. Inutile de vous dire que l'on se bouscule au portillon… et que les voitures font la queue.
Retour au complexe
Il est plus de 19h et certains irréductibles qui voulaient en avoir pour leur argent ont décidé de barboter dans l'eau jusqu'à extinction des feux. Et c'est repus et harassés qu'ils rejoindront leur Karsan avec une seule idée en tête : dormir les poings fermés… jusqu'au départ du prochain Karsan. “Kamelot City” se vide peu à peu comme une outre trop pleine. La plupart des estivants ont plié bagage. Quelques midinettes bronzées à point font les cent pas sur le sable. Sans grande conviction. Ereintés par une journée torride qu'ils ont à peine vu passer, des résidents bâillent déjà… de fatigue. Demain aux premières lueurs de l'aube, ils étendront sur le rebord des fenêtres d'hôtel leur spleen et leur linge.
Une plage pas comme les autres
Indépendamment du long chapelet de plagistes qui bordent le rivage des Andalouses, l'espace concédé par le complexe à M. Boucherfa, un émigré du Canada, tranche sur tout le reste. Par l'accueil personnalisé des baigneurs, par la chasse tous azimuts à la promiscuité et surtout par les prestations offertes aux estivants. Cela va de la location de pédalos aux concours de la petite miss avec des cadeaux à la clef (chaînes hi-fi et téléviseurs) à la redonnée en vedette en groupe, en couple ou en famille vers l'île Plate et jusqu'aux alentours les plus délicats en direction des enfants. Ces derniers, en effet, ne paient pas l'entrée. Les jeux au trampoline ou au toboggan sont gratuits. Ils ont souvent droit à des ballons ou à des paquets de chips tout aussi gratuits. Compte tenu de cette plage haut de gamme, la chaîne Arte a réalisé il y a quelques semaine sur site un documentaire qui a attiré l'attention de tous les touristes.
M. M.


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