Les auditions par le tribunal de Chéraga des personnes citées dans l'affaire Khalifa se font au pas de charge. D'anciens ministres et d'anciens hauts dirigeants de la Banque d'Algérie défilent sans discontinuer ces derniers jours devant le juge d'instruction en charge du dossier pour y être entendus sur des charges pesant contre eux en tant que responsables de secteurs éclaboussés par des dossiers en relation avec l'affaire Khalifa. La justice qui s'est saisie de ce dossier ne semble pas vouloir s'arrêter dans ses investigations à la seule responsabilité de l'ancien patron de Khalifa. Elle entend bien, si l'on en croit les déclarations de l'institution judiciaire qui filtrent dans la presse, remonter toute la filière des complicités ayant permis à l'empire Khalifa d'exister et de devenir, en un temps défiant toutes les lois économiques, ce qu'il était devenu : presque un Etat dans un Etat, se permettant même le luxe de financer des opérations pour le compte d'institutions de la République. Les premiers noms des personnalités qui ont déjà été auditionnées par le juge d'instruction et ceux cités dans la presse, lesquels se préparent, à leur tour, à être auditionnés par le même magistrat selon le calendrier établi par le tribunal de Chéraga, ont cependant, pour la plupart d'entre eux, la particularité d'être des personnalités qui ne sont plus en fonction, pour ne pas dire tombées en disgrâce. Bon nombre d'entre elles font partie du cercle des proches de Benflis. Ce dernier lui non plus n'est pas à l'abri d'éventuelles poursuites judiciaires. Les observateurs n'excluent d'ailleurs pas l'hypothèse plus que probable de sa convocation par le juge d'instruction en sa qualité d'ancien chef de gouvernement sous le règne duquel certaines affaires citées dans le dossier de Khalifa se sont produites. L'autre remarque faite également par les observateurs dans la gestion de ce dossier par la justice tient au fait qu'aucune personnalité actuellement en poste dans les institutions clés de l'Etat dont on disait qu'elles couvraient de leurs ailes protectrices celui que l'on présentait comme le fondé de pouvoir des milieux d'affaires qui gravitent dans et autour du système : Abdelmoumène Khalifa, n'est citée à comparaître. Il est quand même étonnant qu'aucune personnalité influente de l'entourage présidentiel ou des autres institutions de l'Etat n'intéresse la justice à un titre ou à un autre, fusse-t-elle en qualité de témoin. Il est difficile de croire en effet que dans un régime présidentiel centralisé comme le nôtre, où les arbitrages des petites et des grandes actions de développement empruntent des voies pyramidales inversées faisant que les décisions se prennent au sommet, on pourrait être tenus dans l'ignorance d'un dossier aussi explosif qui a occasionné à l'Etat un manque à gagner de 7 milliards de dollars ! Le supposer, cela signifie que les différents agents de l'Exécutif, du chef du gouvernement aux ministres en passant par les responsables en charge des leviers économiques et financiers de l'Etat, n'ont véritablement de compte à rendre sur leur gestion qu'à leur propre hiérarchie. C'est aux intéressés cités à comparaître par la justice d'apporter la preuve du contraire. La vérité, toute la vérité Ils ont à travers le procès de l'affaire Khalifa une tribune inespérée pour démontrer que l'Exécutif est réduit à un rôle de simple exécutant d'une politique et de décisions qui se prennent plus haut comme le soutenait l'ancien chef de gouvernement après son limogeage et avec plus de force encore lors de la campagne électorale pour l'élection présidentielle d'avril dernier dénonçant les pouvoirs régaliens du président de la République. Dans la liste des personnalités intéressant la justice dans l'affaire Khalifa dont la presse a révélé certains noms, apparaît celui du frère du président Bouteflika, ancien avocat conseil du groupe Khalifa. Pour certains, le fait qu'un membre de la famille du Président intéresse la justice et figure dans la liste des personnes citées à comparaître à un titre ou à un autre crédibilise le procès de Khalifa et incline à penser que le président Bouteflika entend faire éclater la vérité sur cette affaire quitte à se faire violence en refusant de céder à la tentation de faire faire passer les intérêts de la famille avant ceux de l'Etat. Sans préjuger de la culpabilité ou non du frère du Président, que seule la justice pourra établir, c'est là le sens que certains donnent à la présentation dans les prochains jours de ce dernier devant le juge. D'autres, en revanche, plus circonspects, n'y voient dans la citation à comparaître du frère de Bouteflika qu'une manœuvre politique de l'entourage du Président visant à laisser accroire qu'il n'y aura pas d'intouchable dans le traitement de ce dossier. Pour ce cas précis, pour le moment, il ne s'agit que d'une citation à comparaître. L'intéressé pourrait bien se voir ménager une porte de sortie et être lavé de tout soupçon par la suite. D'autant que ce qui lui est reproché, la mise à sa disposition de la Golden Card par les bons soins de Khalifa, ne semble pas être retenu comme un délit de corruption par la justice si l'on en croit les fuites émanant de l'institution judiciaire affirmant par presse interposée que les personnes ayant bénéficié de ce type de largesses ne seraient pas passibles de poursuites judiciaires si elles venaient à restituer l'argent puisé de ces comptes. Les éléments du puzzle du procès de l'affaire Khalifa tels qu'ils apparaissent en l'état actuel du déroulement de l'enquête judiciaire à travers les bribes d'informations distillées par l'institution judiciaire via la presse sous couvert d'anonymat laissent plutôt sceptiques quant à la volonté de l'Etat de faire toute la lumière sur cette affaire. Beaucoup n'excluent pas que l'objectif non avoué recherché à travers l'affaire Khalifa, c'est de faire le procès de Benflis et de ses proches pour leur faire payer leurs positions anti-Bouteflika lors de la dernière élection présidentielle. Ceci sans préjuger de leur culpabilité ou non dans les faits qui leur sont reprochés. L'embarras manifesté par la justice pour traiter publiquement et dans la transparence totale ce dossier conforte à leurs yeux cette thèse. A la justice de démontrer le contraire en s'affranchissant de toute tutelle qui tendrait à l'instrumentaliser dans le traitement de ce dossier. Les prochains jours nous diront si la justice algérienne est véritablement rentrée par la grande porte dans l'histoire dans le sens de son indépendance. Ou bien alors si toute cette effervescence judiciaire ne cache pas des relents de règlements de compte et une volonté de dédouaner les véritables centres de décision en accablant les niveaux de responsabilités subalternes de l'Etat dont il faudra aussi situer l'étendue de leurs responsabilités dans cette affaire qui a pris une dimension transnationale.