Un ancien ministre des Finances ainsi que six hauts fonctionnaires de la Banque d'Algérie seront entendus à partir de demain et jusqu'au 12 septembre par le doyen des juges d'instruction près le tribunal de Chéraga, à Alger, dans le cadre de l'affaire Khalifa. Selon des sources judiciaires, ces hauts responsables étaient en poste à la Banque d'Algérie à l'époque où Abdelmoumen Khalifa opérait des transferts financiers illicites, c'est-à-dire durant la période qui s'étale entre 1999 et 2002. Il s'agit, entre autres, de deux gouverneurs, d'un vice-gouverneur, d'un inspecteur général et du directeur central chargé du contrôle des changes. Pendant une semaine, le magistrat instructeur interrogera ces responsables sur ce qui a été qualifié de « véritable cataclysme financier », dont les premiers indices leur avaient été pourtant signalés par la commission bancaire dès janvier 2001 dans plusieurs rapports. Si pour l'instant tous ces responsables sont convoqués en tant que témoins, il est fort probable que bon nombre d'entre eux puissent être inculpés par le juge s'ils n'arrivent pas à justifier leur position vis-à-vis de cette escroquerie du siècle. Pour l'instant, ont ajouté nos sources, de fortes présomptions de corruption pèsent sur un certain nombre de hauts fonctionnaires de l'Etat et même de ministres de l'ancien gouvernement et qui, dans le cas où elles se vérifieraient, feront tache d'huile dans l'histoire du pays. Le même doyen des juges (et non pas celui de Sidi M'hamed) a déjà entendu près de 180 gestionnaires d'entreprises publiques qui ont pris la décision de placer les fonds de leurs sociétés dans les caisses d'El Khalifa Bank. Parmi ces derniers, plus d'une cinquantaine de directeurs généraux d'Offices de promotion de gestion immobilière (OPGI) répartis sur les 48 wilayas du pays. A ce sujet, la source judiciaire a affirmé que l'ancien ministre de l'Habitat sera également entendu sur cette affaire. Pour le juge, il est important de « lever le voile sur ces placements douteux et complaisants d'autant qu'après vérification il s'est avéré que cette banque n'a jamais fait bénéficier les gros dépositaires de plus de 7,5% d'intérêt. L'argent partait en dessous de table ». Sur le bureau du doyen, il y a actuellement cinq grands dossiers en instruction, à savoir El Khalifa Bank, Khalifa Airways, l'unité de dessalement d'eau de mer, des transferts de devises par swift auxquels sont venus se greffer récemment d'autres importants dossiers : Khalifa Construction (contrats de construction des chemins de fer) et Khalifa TV (contrats d'accès aux archives) et achat d'actions auprès de la firme française Société générale. « Toutes ces affaires sont liées au dossier de la banque pour lequel il y a eu jusqu'à l'heure actuelle seize inculpations. Quatre cadres d'El Khalifa Bank ont été placés sous mandat de dépôt. Sept autres sont en liberté provisoire. Des mandats d'arrêt internationaux ont été délivrés à l'encontre de Abdelmoumen Khalifa et de quatre de ses plus proches collaborateurs qui assumaient de hautes fonctions au sein du groupe, notamment Karim Smaïl, Bouabdellah Salim Moulay Ali, Baïchi Fawzi... », a révélé notre source. Le dossier de l'unité de dessalement d'eau de mer risque de faire tache d'huile dans la mesure où il est question pour le juge de convoquer au moins deux anciens ministres, celui des Ressources en eaux et son collègue de la Construction, mais également l'ex-chef de gouvernement. L'affaire porte sur un transfert de 67,5 millions de dollars US vers le compte d'une société saoudienne Huta-Sete, chargée de négocier l'achat de l'unité de dessalement auprès d'une firme hollandaise, mais qui n'est jamais parvenue à bon port. Un travail minutieux d'investigation attend le magistrat instructeur qui devra, faut-il le rappeler, convoquer dans les semaines qui suivent près de 200 personnes morales et physiques ayant contracté des prêts auprès d'El Khalifa Bank et qui refusent de les restituer. « Ces prêts ont été accordés sans aucun document. Il n'y a que le nom et le prénom sur un bout de papier. Le problème réside en fait dans ces opérations de prêts alloués à des sociétés écrans. Il faudra du temps pour découvrir qui se cache derrière ces entreprise », a déclaré notre interlocuteur. 7 milliards de dollars Pour ce dernier, au moins cinquante hautes personnalités et leurs proches ont bénéficié de la fameuse Golden Card, à crédit illimité et en devise. Certaines ont pu restituer les montants dépensés, les personnes récalcitrantes vont être, elles aussi, poursuivies en justice si elles ne restituent pas les sommes encaissées. Toutes ces opérations jugées illicites ont poussé le juge d'instruction à retenir plusieurs chefs d'inculpation, à savoir association de malfaiteurs, vols qualifiés, escroquerie aggravée, faux et usage de faux en écriture publique, privée commerciale, abus de biens sociaux, complicité et recel. Des crimes dont la peine peut aller jusqu'à la perpétuité, selon le code pénal. « Il y a des parties ou des clans qui ont peur de la liquidation parce qu'elle permettra de dévoiler beaucoup de choses, mais aussi de récupérer tous les biens acquis grâce aux largesses de Abdelmoumen Khalifa qui puisait des fonds publics », a précisé notre source. Pour elle, le préjudice financier causé au Trésor public par le groupe Khalifa atteindra largement les 7 milliards de dollars US.