Il n'a qu'à aller faire une omra ou une hadja et rentrer chez lui au lieu de se cramponner au pouvoir !» s'indigne Omar, la quarantaine, gérant d'un magasin à la rue Larbi Ben M'hidi. Et de renchérir : « C'est indécent ! On dirait qu'il n'y a pas d'hommes capables d'assurer la relève dans ce pays. Le peuple algérien est conscient. On a des hommes compétents.» Omar fustige ceux qui louent le bilan du Président : «On nous dit qu'il a construit des routes, qu'il a fait-ci, qu'il a fait-ça. Mais c'est avec l'argent du peuple qu'il l'a fait ! Il ne l'a pas payé de sa poche. Et puis, il faut voir la facture salée qu'il nous a laissée, quand vous voyez tous ces milliards bouffés par le projet de l'autoroute. Wech dar, il n'a rien fait, même avant sa maladie.» Son cogérant enchaîne : «Ils sont capables de tout pour le maintenir au pouvoir. Je ne serai pas étonné qu'il fasse une campagne électorale. De même qu'ils ont fait cette mise en scène du café (avec Sellal et Gaïd Salah, ndlr), ils sont capables de lui concocter une campagne. Ils ne reculent devant rien. Avec ces gens-là, tout est possible. En Tunisie, Bourguiba a bien continué à gouverner alors qu'il portait des couches !» Notre interlocuteur avertit : «S'il fait ça pour protéger son frère, qu'ils aillent se réfugier à l'étranger et qu'ils arrêtent de prendre le pays tout entier en otage !» Cette femme au foyer, septuagénaire au visage lumineux, confie avoir toujours voté Bouteflika. Sur une pointe de fatalisme béat, elle explique pourquoi elle aime le «raïs» : «C'est Bouteflika qui a ramené la paix et stabilisé le pays. Moi, je veux qu'il reste. Lui au moins, on le connaît. Et puis, s'il s'est servi, comme on dit, eh bien, comme ça, au moins, il ne se servira plus. Si on ramène quelqu'un d'autre, il ne peut pas faire mieux que ce qu'il a fait, et il va lui aussi se servir, et le pays va être saigné.» Keltoum, étudiante en sciences politiques, se dit, quant à elle, viscéralement contre le quatrième mandat. «Ce n'est pas tant à cause de sa maladie, mais plutôt à cause de sa gestion», explique-t-elle, avant d'ajouter : «Nous voulons un Président qui veille sur notre avenir, pas un Président que nous traînerons comme un boulet.» Keltoum en est persuadée : «Le problème est que ce n'est même pas lui qui gère. Même les changements qu'il a soi-disant opérés (au sein de l'armée et du DRS, ndlr), il y a des gens qui sont derrière.» La jeune politologue estime que «depuis Boussouf, c'est le même régime qui est aux commandes. Nous avons affaire au même système de gouvernance». «Il y a une vie après Boutef !» Keltoum pointe, dans la foulée, le «manque de culture politique au niveau du peuple. Les gens vous disent : c'est Bouteflika qui a fait, c'est Bouteflika qui est l'initiateur de telles réalisations. On ne peut pas imaginer notre vie sans Bouteflika. Pourtant, combien ont perdu leurs parents et y ont survécu. Il y a une vie après Boutef !» Commentant les bruits sur la révision de la Constitution, elle y décèle d'emblée une régression : «On parle de prolonger le mandat présidentiel à 7 ans dans la nouvelle mouture. Il faut savoir que dans la Constitution de 1976, le mandat du président de la République était de 7 ans, et c'est la Constitution de 1989 qui l'a ramené à 5 ans. Donc, si on revient au mandat à 7 ans, cela veut dire qu'on va marquer une régression. On est en train de reculer sur tous les plans. On se dirige tout droit vers une monarchie et vers l'anarchie.» Khaled, 27 ans, un chapeau de paille sur la tête, est vendeur de thé «typiquement saharien» à quelques encablures de la Grande-Poste où un important dispositif de police a pris position, dès le matin, pour mater le mouvement de protestation initié par la Coordination nationale des chômeurs. Khaled est originaire de Djanet. Comme Amara Benyounès, notre ami clame urbi et orbi sa fidélité électorale au Président grabataire. « Moi, je suis à fond avec notre Président. Bouteflika khdem leblad. Le fait qu'il soit malade ne l'empêchera pas de rempiler. Ce n'est pas avec ses mains qu'il va diriger le pays mais avec son cerveau. Et puis, il a Sellal avec lui pour l'épauler. Si Bouteflika quittait le pouvoir, le pays pourrait basculer dans la guerre civile comme cela s'est passé dans les pays arabes.» Ce n'est pas l'avis de ses amis, tous originaires de la wilaya d'Illizi, comme lui, et qui nous conteront par le menu les ratages de la gestion présidentielle dans le Grand-Sud. «Moi je suis avec Bouteflika, mais là, il se trouve qu'il est malade. Il faut qu'il cède la place et qu'il consacre le principe de l'alternance au pouvoir qui est le fondement de la démocratie», lâche un élu RND de la commune de Djanet qui a requis l'anonymat, en sirotant un thé. «Edawla la tazoulou bi zawali erridjal (l'Etat ne disparaît pas avec la disparition des hommes)», poursuit-il.