Le commerce mondial du gaz naturel a ses propres règles. Elles sont, au contraire du pétrole, particulièrement déterminées par la géographie. Pour ne pas dépendre de son seul fournisseur continental il faut sortir du gazoduc et aller vers le méthanier, mais cela coûte cher. De grandes manœuvres mondiales autour du gaz, le nouvel « or bleu », se sont déployées au grand jour en 2006. L'année a été il est vrai inaugurée par la crise du gaz russe coupé tour à tour à l'Ukraine puis à la Géorgie pour un différend tarifaire. La baisse de la pression dans le gazoduc qui va vers l'Europe occidentale a perturbé la consommation domestique de gaz dans le vieux continent. Il n'en fallait pas plus pour que « la sécurité des approvisionnements » redevienne le mot d'ordre des ministres de l'Energie de l'UE. Sécuriser comment ? Par la diversification des sources d'approvisionnement en gaz. La formule est depuis longtemps opérante pour le pétrole. Le prodigieux développement du marché spot a dépolitisé une grande partie des contrats de fournitures de pétrole. Est-ce possible pour le gaz ? Deux caractéristiques distinguent la géopolitique du gaz. Sa production est plus concentrée géographiquement dans le monde. Il est plus difficile à transporter. On peut ajouter à cela que la mise en production des gisements est rarement entamée sans assurance préalable d'un marché terminal. Les investissements pour le transport du gaz notamment sont si lourds qu'aucun pays producteur ne les engage avant la signature d'un contrat d'approvisionnement dont il associe le plus souvent le bénéficiaire aux frais d'acheminement lorsqu'il s'agit de gazoduc. Les sites d'extraction et les routes du gaz en deviennent un véritable enjeu stratégique. Trois pays, la Russie, l'Iran et le Qatar détiennent les 2/3 des réserves mondiales prouvées. 16 autres pays dont l'Algérie se partagent entre 1 et 5 % de ces réserves. Une contrainte continentale lourde Le commerce mondial du gaz est contraint par la continuité continentale. Les gazoducs ne traversent pas les océans. Le transport par méthaniers est très coûteux. Il nécessite la construction d'un terminal de liquéfaction du gaz sur le port d'enlèvement et un autre de gazéfaction à l'arrivée. Près de quarante ans depuis le lancement de la filière GNL dans le monde seuls quatre pays ont un recours significatif à l'approvisionnement par méthaniers : le Japon (77% de ses approvisionnements en gaz sont en GNL), la Corée du Sud (30%), les Etats-Unis (18%) et l'Espagne (18%). La filière GNL est pourtant amenée à se développer plus vite dans les prochaines années. Elle est la solution d'appoint au caractère « captif » de l'approvisionnement par gazoduc, comme l'a montré la dépense d'une partie de l'Europe au tuyau de Gazprom, le géant Russe du gaz. C'est - dans l'autre sens - pour éviter d'être « captif » d'un marché européen politiquement hostile à cause de la position de la France (bientôt expropriée par les nationalisations algériennes) que Bélaid Abdeslam a pris, il y a 37 ans, l'option stratégique du « grand large » en signant le fameux contrat El Paso et en optant pour l'exportation du gaz liquéfié et le transport par méthaniers vers le marché nord-américain. Une décision décriée par son successeur Belkacem Nabi, « l'Algérie a tourné le dos a son marché naturel », l'Europe, bientôt approvisionnée à travers l'Italie par un premier gazoduc. Méthaniers ou gazoduc ? Les tensions montantes autour du gaz naturel dans le monde indiquent bien aujourd'hui que le premier atout de diversité tant du point de vue du pays producteur que de celui du pays consommateur est de pouvoir commercer dans les deux filières de transport du gaz naturel. Les GNL algériens sont loin d'avoir été « une erreur ». Ils permettent au gaz algérien de « sortir » des gazoducs vers l'Europe pour aller aussi loin qu'en Extrême-Orient. Il reste que pour l'essentiel les batailles autour de l'approvisionnement sont des luttes autour des tracés de gazoduc, le principal moyen de transport du gaz dans le monde avec environ un million de kilomètres de tube. Les grands pôles de flux par gazoduc qui se sont dégagés sont les suivants : le corridor est-ouest qui approvisionne l'Europe essentiellement à partir de la Russie et par lequel transite 120 milliards de m3 de gaz par an. Le corridor du nord de l'Europe (Novège-Pays-Bas-Grande-Bretagne) vers le Sud 130 milliards de m3 par an environ. Un pôle nord-américain de 110 milliards de m3. L'Afrique du Nord vers l'Europe constitue avec moins de 35 milliards de m3 par an un sous-pôle des flux mondiaux par gazoducs auquel il faut ajouter le pôle émergent de l'Asie centrale vers la Turquie et l'Europe. Le gazoduc, une arme politique qui change de main De nouveaux grands gazoducs sont en chantier. Les réserves importantes en gaz naturel de la Sibérie centrale sont promises au marché chinois en cours d'explosion, ceux de la région de Sakhaline en Extrême-Orient destinés au Japon. L'Iran et le Qatar devront beaucoup recourir à la filière GNL pour commercialiser de nouvelles quantités de gaz. Les coûts de réalisation d'un terminal GNL sont si chers aujourd'hui qu'un gazoduc de près de 3000 km qui amènerait le gaz nigérian à se connecter au réseau algérien vers l'Europe à hauteur de la plateforme Sonatrach-BP de In Salah en est devenu compétitif. Reste toujours la question politique de la sécurité et de la « fréquentabilité » des territoires traversés. La Russie a exigé et obtenu de tenir les Baltes et la Pologne en dehors du tracé du gazoduc nord qui par la mer Baltique approvisionnera l'Allemagne. L'importance de l'ouvrage et de la transaction est telle que c'est l'ex-chancelier allemand Gerard Shroeder qui dirige le comité de surveillance de la holding germano-russe qui exploitera le gazoduc.L'Algérie a choisi un tracé direct vers l'Espagne à partir de Beni Saf pour son nouveau gazoduc ouest au contraire du précédent qui passe par le Maroc. Le gazoduc est devenu une redoutable arme poilitique. La Russie a contribué a ramené l'opposition prorusse aux affaires en Ukraine en fermant le robinet du gaz en janvier dernier. Il y a trente ans cette « arme » était tacitement entre les mains des pays consommateurs.