Le Syndicat national des éditeurs du livre (SNEL) a dénoncé cette semaine le projet de loi sur le livre qui vient d'atterrir sur le bureau de l'APN. «Liberticide, bureaucrate et dangereux», le SNEL se déchaîne contre le texte proposé par Khalida Toumi. -Votre syndicat d'éditeurs vient de dénoncer le projet de loi sur le livre. Pourquoi cette réaction ? D'abord, personne n'a vu cette loi, et même les ministres concernés, ceux de l'Enseignement supérieur et de l'Education nationale, n'ont découvert ce texte que lors du dernier Conseil des ministres. C'est une loi qui est sortie directement de la bureaucratie du ministère de la Culture, sans aucune consultation ouverte et publique. Comment se fait-il qu'une loi d'une telle importance, très attendue par les professionnels du livre, ne soit pas soumise à des débats lors de son élaboration ? Pourquoi ne pas écouter les gens du métier ? Pourquoi ignorer le syndicat des éditeurs ? Pourquoi continuer dans cette politique, alors que Human Rights Watch vient de dénoncer les atteintes aux libertés syndicales en Algérie ? Ils ne nous ont même pas consultés pour la forme. En 2010, nous avions réuni des experts, notamment d'autres pays arabes, pour faire des propositions concrètes au ministère de la Culture. Mais nous ne retrouvons rien de ce que nous avons proposé dans ce projet de loi. Par contre, la ministre aime bien emprunter nos propositions sur la lecture publique ou sur la création de librairies dans le cadre du projet des locaux commerciaux pour jeunes. En plus, dans le projet de loi, on exige, par exemple, que la direction de la culture d'une wilaya ne s'approvisionne en livres que dans cette même wilaya : cela veut dire concrètement qu'on limite énormément la circulation des livres. Saïd Sadi ne serait lu qu'à Tizi Ouzou ou à Alger ! C'est aussi une forme de censure. -Qu'est-ce que vous reprochez exactement à ce projet de loi ? Je répète, ce texte a été préparé secrètement par des bureaucrates qui n'ont rien à voir avec le monde du livre, mais plus que cela, c'est un texte de loi punitif et préjudiciable au citoyen dans ses droits constitutionnels. Comme syndicat des éditeurs, nous nous posons plusieurs questions à la lecture de ce texte : sommes-nous toujours sous une dictature ? C'est quoi cette loi selon laquelle aucune activité culturelle ne peut avoir lieu sans l'autorisation du ministère ? Cela veut dire qu'une librairie ne peut organiser une simple vente-dédicace sans l'accord de l'administration. Cela veut dire que les libraires, les éditeurs ou les autres acteurs du livre ne peuvent plus inviter le public ! Ce que nous reprochons le plus à ce projet de loi est qu'il crée, s'il est adopté tel quel, un climat qui dégoûte les gens de ce métier : on ne voudra plus s'aventurer à monter une maison d'édition ou ouvrir une librairie, lancer des projets éditoriaux ou même écrire des livres parce que tout sera soumis à autorisation. Il ne manque plus dans cette loi qu'un article pour qu'on demande une autorisation au ministère de la Culture pour boire un verre d'eau ! En plus, ce projet de loi crée un précédent dangereux dans la législation algérienne, car la plupart de ses dispositions sont vagues et sujettes à la réglementation en cours d'exécution, ce qui le transforme en un décret exécutif sous forme de loi. -Qu'est-ce que vous espériez de cette loi en tant qu'éditeurs ? Nous nous attendions à une loi qui encourage la profession, qui booste l'édition et la distribution, qui vienne en aide à celui qui veut ouvrir une librairie… Nous nous attendions à un cadre légal pour aider l'industrie du livre, puisque c'est cela le discours du ministère de la Culture. Mais rien de cela n'est prévu dans ce projet de loi. On continue, en tant qu'éditeurs, à cumuler jusqu'à 33% de taxation. Pourquoi ne pas avoir détaxé les produits de l'imprimerie et du livre comme cela se fait en Tunisie et en Mauritanie ? Nous nous attendions aussi à une loi qui facilite la circulation des livres hors de nos frontières pour exporter nos auteurs, chez nos voisins maghrébins où la demande est forte. Mais il n'y a que des articles qui nous bombardent d'autorisations et tout un code pénal contre nous ! -Mais il y a des articles positifs, comme l'officialisation du rôle du Centre national du livre… Le Centre national du livre ? Il a été créé par décret en 2009 et, depuis, rien, on n'en a plus entendu parler. Et lorsqu'on a reçu, il y a quelques jours, une correspondance de ce centre pour demander des informations sur les maisons d'édition, il n'y avait ni cachet ni signature ! Je crois bien que ce centre est bloqué parce qu'il doit associer notre syndicat à son action, mais ma présence gêne apparemment. Alors je leur dis que je peux renoncer à y participer si ma présence est un frein au bon fonctionnement du CNL ! De toute manière on ne sait pas grand-chose de ce qui se passe à l'intérieur de cet organisme. -Qu'en est-il du «fonds national pour la promotion et le développement des arts et des lettres» évoqué dans le projet de loi ? Oui d'accord, c'est bien que le projet de loi parle de ce fonds. Or, qui peut nous dire qui a bénéficié des aides, surtout à l'occasion des festivités culturelles ? Le ministère prétend que les médias peuvent consulter la liste, mais je sais que ce n'est que démagogie. En plus, la ministre parle de 500 titres publiés à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance, alors qu'un responsable du département du livre du ministère évoque 998 livres ! -Quelles seront vos démarches pour peser sur l'amendement de ce projet de loi au niveau du Parlement ? Il faut continuer à se mobiliser en tant qu'éditeurs, libraires, importateurs, auteurs, mais aussi lecteurs et citoyens. Si cette loi passe en tant que tel, avec ses dispositions liberticides, on reviendra aux années de plomb, aux années de la censure totale. Nous lançons un appel à tout le monde pour amender cette loi et j'espère que les députés la liront très bien avant de la voter. On ne peut pas laisser passer cette loi comme ça : c'est dangereux, parce que les Algériens ne vont pas lire ce qu'ils veulent, ils ne liront que les livres que le ministère aura décidé d'autoriser. C'est très grave !