Reine de l'élégance, hôtesse des soirées du gotha des non-alignés, Jovanka Broz, veuve du dirigeant communiste yougoslave Josip Broz Tito, morte dimanche à l'âge de 88 ans, vivait dans un isolement total depuis plus de trente ans. Cheveux noirs coiffés en chignon, Mme Broz — qui s'est éteinte des suites d'un arrêt cardiaque dans un hôpital de Belgrade où elle avait été admise en août — était rapidement devenue un symbole de l'élégance dans un pays, la Yougoslavie, appauvri par la Deuxième Guerre mondiale. Elle dînait avec Elizabeth Taylor et Richard Burton, ainsi qu'avec un grand nombre d'autres vedettes du cinéma international, qui jouaient dans des films tournés en Yougoslavie dans les années 1960. Mais elle avait rarement pris la parole en public, semblant satisfaite de son rôle de première dame silencieuse, inséparable de son époux. La gloire et le luxe dans lesquels elle vivait depuis son mariage à Josip Broz Tito s'étaient évanouis juste avant la mort de son époux en 1980, lorsqu'elle fut accusée par les collaborateurs du dirigeant communiste d'avoir fomenté un coup d'Etat contre lui. Issue d'une famille de paysans, Jovanka, née le 7 décembre 1924, rejoint à 17 ans les partisans — la résistance communiste yougoslave dirigée par Tito pendant la Seconde Guerre mondiale — avec lesquels elle reste jusqu'à la fin de la guerre : elle aura alors le grade de capitaine. En 1948, elle avait été recrutée pour travailler en tant que secrétaire au cabinet de Tito. La date de leur mariage reste imprécise comme la plupart des autres détails de la vie privée de l'ancien dirigeant yougoslave. Il a eu lieu en 1952, d'après certains biographes de Tito. Lorsque Tito cesse de paraître en public en raison de sa maladie à la fin des années 1970, ses puissants collaborateurs se sont retournés contre son épouse, l'ont placée en résidence surveillée et l'ont privée de ses papiers d'identité. Le couple n'a jamais officiellement divorcé, mais Jovanka a été évincée de leur luxueuse résidence après la mort de Tito. «Juste après la mort de Tito, ils m'ont chassée (de la résidence) en chemise de nuit, sans mes affaires, sans le droit de prendre même une photo de nous deux, une lettre, un livre (...) et on m'a placée, contre mon gré, dans cette maison où je vis toujours», avait déclaré Mme Broz au quotidien Politika en juillet 2009. «A partir de ce moment-là, j'ai été traitée comme une criminelle. Je ne pouvais pas sortir de la maison sans être accompagnée par des gardiens armés», avait-elle raconté. Mme Broz avait pris l'initiative, avec d'autres héritiers de Tito, en 1983 de l'ouverture d'une procédure concernant les droits de succession sur son patrimoine, dont la valeur n'a jamais été dévoilée. Elle est morte sans avoir vu la fin de cette procédure. Après avoir passé une trentaine d'années dans l'isolement et la précarité, les autorités serbes avaient enfin restitué en juin 2009 à Mme Broz ses papiers d'identité et lui avaient accordé une retraite.