Un mince filet d'eau serpente au milieu du lit d'un oued trop grand. Le contraste est saisissant entre cette vallée verdoyante et ce paysage de pierres et de roches volcaniques qui l'entoure. Tamanrasset De notre envoyé spécial Le silence qui règne sur ces contrées n'est troublé que par quelques oiseaux qui gazouillent. A première vue, le village semble complètement déserté par ses habitants. Renseignement pris, les hommes sont tous partis à Tamanrasset pour les préparatifs de l'Aïd El Kebir. Tarhenanet, petit village au cœur de l'Atakor, niché aux pieds du mont Illamane et du majestueux Tahat, le plus haut sommet d'Algérie qui culmine à 3003 m. Tarhenanet est à 60 km à l'est de Tamanrasset, chef-lieu de wilaya et capitale de l'Ahaggar. 60 kilomètres de piste tantôt poussiéreuse, tantôt rocailleuse, taillée pour le 4x4 tout-terrain, l'âne ou le chameau. Nous nous arrêtons au poste de surveillance de, l'Office du parc national de l'Ahaggar (OPNA). C'est une «zeriba» qui abrite les gardiens chargés de veiller sur les trésors de ce parc grand comme un sous-continent. Quand l'étranger arrive dans un village targui, il faut d'abord voir le chef de tribu et le gardien du parc. «Plus besoin d'aller au Niger, nous avons tout à Tamanrasset» Fondé après l'indépendance de juillet 1962, le village compte aujourd'hui 387 âmes et quelques centaines de chèvres et de chameaux. On y vit essentiellement d'agriculture en été et d'élevage le reste de l'année. Si les femmes s'occupent des chèvres, qu'elles mènent paître et dont elles font la traite, les chameaux sont l'affaire des hommes. Le village est constitué presque exclusivement de la même famille. Avant l'indépendance, ils vivaient sous la tente dans l'Ahaggar central et nomadisaient du côté d'Afilal, non loin de l'Assekrem, suivant les pluies et les pâturages. Les femmes font encore de l'artisanat. Ce sont elles qui fabriquent encore quantité d'objets traditionnels liés à la sellerie des chameaux ou au travail du cuir pour les tentes et les objets usuels. Jadis, l'activité essentielle des hommes consistait à partir en caravane chercher du sel dans la mine d'Amadghor, du côté d'Idlès, pour le revendre au Niger. Le voyage durait six mois, trois pour le voyage aller et trois autres pour le retour. Avec l'argent récolté, ils pouvaient acheter du mil ou d'autres céréales et des tissus. «Aujourd'hui, nous avons tout à Tamanrasset, plus besoin d'aller au Niger. Le seul problème est qu'à chaque pluie, il faut refaire la piste», dit Lamine. Après l'indépendance, il a fallu reconstituer patiemment les troupeaux décimés par la maladie. «Aujourd'hui nous sommes à l'aise, El Hamdoulillah», ajoute-t-il. La sécheresse et l'école sont les deux facteurs qui ont poussé les Imohaghs, comme ils se nomment, à se sédentariser. C'est ainsi que les villages se sont constitués. Au départ, ils habitaient les zeribas, les huttes de roseaux typiques de l'Ahaggar. Les constructions en dur sont venues petit à petit. Deux heures d'électricité quotidiennes à partir de la tombée de la nuit Tarhenanet compte deux boutiques d'alimentation générale où les citoyens peuvent se ravitailler en produits de première nécessité. Il dispose également d'une école primaire et d'un dispensaire pratiquement vide, où officie un seul infirmier. Des médecins viennent parfois en inspection dans le village, mais en cas d'urgence, il faut courir jusqu'au sommet d'une montagne, à 2 km du village, pour capter un réseau téléphonique et joindre la Protection civile. Ensuite, il faut prier que rien de fâcheux n'arrive pendant les trois heures que mettront les secours pour arriver. Pour l'électricité, Tarhenanet dispose de 5 stations solaires et d'un groupe électrogène. Faute de maintenance, la plupart des stations photovoltaïques sont en panne. Au final, le village ne dispose que de deux heures d'électricité par jour à partir de la tombée de la nuit. Hamdani Mohamed Lamine, 51 ans, est gardien du parc. Il insiste pour qu'on rentre dans sa modeste masure de parpaings. «J'ai 17 personnes à ma charge et je travaille seul», confie-t-il. Dans un coin de la cour couverte d'une couche de galets ramenés de l'oued tout proche, sa femme roule le couscous. Des enfants en bas âge sont accrochés à ses basques. Ce père de famille, qui semble submergé par les difficultés de la vie, avoue avoir onze enfants. Les plus âgés vivent de petits boulots ou sont au chômage à Tam, tandis que les jeunes sont encore scolarisés. «Les touristes venaient à pied, à vélo et à dos de chameau» Ici, il n'y a que l'OPNA qui emploie. 15 personnes y travaillent. Il y a quelques années, le tourisme faisait vivre beaucoup de monde dans la région. Lamine se souvient du temps, pas très éloigné, où les touristes occidentaux, par centaines et par milliers, écumaient les pistes de l'Ahaggar. «Ils venaient à pied, à vélo, à dos de chameau et en voiture. On les croisait partout. Certains venaient faire l'escalade du mont Illamane», témoigne-t-il. C'était le temps béni, avant le terrorisme qui a fait fuir les touristes. Maintenant pour vivre, les villageois exploitent de petits vergers. On manque de tout ici, sauf d'eau. On cultive la figue, le raisin, l'abricot, la pomme de terre et tout ce qui fait bouillir la marmite et améliorer l'ordinaire. Le blé est cultivé en hiver, mais de janvier à mars, il fait très froid et il gèle à pierre fendre. Attanouf Moussa, 60 ans, est retraité de l'Onarem et de l'OPNA. Il est «l'amghar» du village, le chef de tribu. Pour lui, Tarhenanet compte trois problèmes principaux : la route, l'électricité et le téléphone. Bref, l'essentiel. Les promesses n'ont jamais manqué, mais comme les hirondelles qui reviennent au printemps, les promesses de lendemains meilleurs reviennent à chaque élection. En dehors de l'enclavement, le manque de transport est l'autre problème dont souffre le village. Il n'y a que quelques véhicules personnels et aucun moyen de transport public ou privé vers Tamanrasset. Les temps changent lentement mais sûrement. Avant, on vivait dans des zeribas, aujourd'hui, on habite dans des maisons en dur. Avant, pour se marier, il suffisait d'offrir à la mariée un mouton et du thé, raconte Lamine. Aujourd'hui, signe des temps, il faut un chameau, de l'argent, du thé, des tissus et beaucoup d'autres choses encore. L'écologie fait partie de leur culture Nous quittons Tarhenanet et son air pur alors que les nuages s'amoncellent au dessus de nos têtes et que la pluie, autant promesse que menace dans ce pays de la démesure, se met de la partie. La dernière image est celle d'un groupe d'enfants qui s'amusent avec des pneus usagés. Direction Tigmarine, deux villages sis dans un lit d'oued, sur le chemin du retour vers Tamanrasset. Il y a Tagmart du haut et celle du bas, distantes de 15 km, nous choisissons de nous arrêter à la plus éloignée. Premier constat : les deux villages ont la chance d'avoir l'électricité. «Là encore, la plupart des gens sont des bergers semi-nomades qui se déplacent de pâturage en pâturage, au gré des saisons et des pluies», affirme Samo Mohamed, 26 ans, rencontré au poste de l'OPNA. Les gardiens du parc doivent conseiller les touristes et surtout préserver les sites de gravures rupestres, nombreux dans la région. Le Targui est écolo de nature. Il a appris depuis des siècles à préserver ce milieu fragile dans lequel il évolue. Il ne gaspille pas inutilement les ressources naturelles qui se renouvellent difficilement et il ne lui viendrait jamais à l'idée de détériorer un site classé ou un monument. Il sait que cela fait partie de cette culture ancestrale, toujours vivante, qui fait son identité propre. C'est l'une des grandes leçons qu'offrent encore les Touareg au monde : chez eux, l'écologie n'est pas un concept à la mode, elle fait partie de leur culture.