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«Les forêts algériennes ont une valeur économique sous-estimée» Ludwig Liagre. Expert et conseiller en économie de l'environnement à l'Agence de coopération allemande au développement (GIZ)
Fervent défenseur d'une économie verte alternative aux modèles conçus sur la rente et l'exploitation des ressources fossiles, Ludwig Liagre, expert en économie de l'environnement et conseiller à l'agence allemande GIZ, revient dans cet entretien sur l'intérêt devant être accordé au secteur forestier dans les pays de la région MENA. Selon lui, il est temps, aujourd'hui, d'intégrer dans la sphère économique les biens et services fournis par les forêts pour renforcer la contribution de ce secteur à l'économie nationale. -La GIZ mène depuis 2010 un projet dans la région MENA en matière de gestion durable des forêts. Quel est le but recherché à travers cette coopération ? Le projet régional de la GIZ – «Adaptation au changement climatique des conditions cadres de la politique forestière dans la région Afrique du Nord-Proche-Orient» – vise des actions de coopération entre les pays partenaires du Partenariat de collaboration pour les forêts méditerranéennes (PCFM), à savoir l'Algérie, le Liban, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. Ces actions vont permettre de renforcer les capacités des forestiers en matière de gestion durable des forêts dans le contexte du changement climatique. Dans cette optique, la GIZ accompagne particulièrement la Direction générale des forêts d'Algérie sur les thèmes de l'adaptation basée sur les forêts, la prévention des feux, la mise en œuvre du protocole de Nagoya et du mécanisme APA (Accès aux ressources génétiques et partage juste et équitable des avantages tirés de leur utilisation), la valorisation des produits forestiers non ligneux, le dialogue intersectoriel et les processus de communication interne, externe et de sensibilisation du grand public. Les mesures soutenues par la GIZ sont menées en accord avec les orientations du Cadre stratégique pour les forêts méditerranéennes, validées à l'occasion de la 3e Semaine forestière méditerranéenne qui s'est tenue à Tlemcen du 17 au 21 mars 2013. -Les actions que vous venez de citer sont louables, mais il faut reconnaître aussi que l'intérêt économique des forêts algériennes est, à ce jour, dévalorisé, voire ignoré par les différents programmes économiques. Comment peut-on justement y remédier ? Les forêts algériennes ont en effet une valeur économique sous-estimée, pourtant elles délivrent de nombreux biens et services sociaux, environnementaux et économiques aux populations rurales et urbaines. Par exemple : le maintien de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique, la prévention des inondations, la lutte contre la désertification, les filières des produits forestiers ligneux et non ligneux, l'épuration et le stockage de l'eau parmi d'autres. De nombreux secteurs de l'économie tirent donc un bénéfice direct des forêts, mais leur contribution n'est souvent pas reconnue et rémunérée à juste titre. Des leviers pour remédier à cette situation existent. D'abord, il faut réfléchir à la comptabilité verte et comment mettre en place un compte satellite pour le secteur forestier dans la comptabilité nationale, afin de révéler la véritable contribution du secteur forestier à l'économie algérienne et au bien-être de sa population. Par ailleurs, il est important de sensibiliser tous les secteurs bénéficiant de la forêt, par exemple l'eau, le tourisme, l'élevage, entre autres, afin qu'ils développent, en partenariat avec le secteur forestier, les outils assurant la pérennité des biens et services fournis par les forêts. Ainsi, des taxes vertes, selon une approche de paiement pour services écosystémiques, pourraient générer les financements nécessaires à la préservation et à la valorisation des forêts. Il y a, aujourd'hui, des foyers de croissance à développer, notamment à travers la réhabilitation d'écosystèmes comme la subéraie pour la filière liège, les plantes aromatiques et médicinales, et dans la promotion d'un tourisme responsable dans des aires protégées. -Comment peut-on développer ces «foyers de croissance» et asseoir une économie verte dans un système économique rentier, dépendant totalement des hydrocarbures ? Le grand avantage d'un système économique tirant bénéfice de ressources naturelles comme les hydrocarbures est justement de pouvoir disposer d'une énorme capacité d'investissement pour préparer et asseoir un système économique durable sur le long terme, notamment en vue d'une période plus ou moins lointaine de l'«après-hydrocarbures». Tous les pays n'ont pas cette chance. Dans ce contexte, les ressources financières sont donc disponibles pour des investissements d'envergure dans des secteurs où la valeur ajoutée et les emplois créés sont pérennes et profitent au pays dans sa globalité : milieux ruraux et urbains, jeunes et femmes compris. Le secteur forestier pourrait donc être un des domaines à privilégier pour le développement d'une économie verte, au même titre que d'autres comme les énergies renouvelables, la gestion de l'eau et des déchets, l'agriculture raisonnée et biologique, l'industrie à faible émission de carbone et de polluants, etc. Le secteur forestier est, en tout cas, créateur de richesses et d'emplois, comme le montre une étude récente de la FAO : un investissement d'environ 30 milliards de dollars permettrait de créer jusqu'à 15 millions d'emplois dans le secteur forestier à l'échelle mondiale, notamment dans les activités de plantation, d'aménagement et de conservation des forêts, de lutte contre les incendies, de gestion des aires protégées, dans le développement de l'agroforesterie et des espaces verts urbains et périurbains. Qu'en serait-il en Algérie avec son énorme capacité d'investissement ?