Comment appelle-t-on un habitant de la ville nouvelle Ali Mendjeli ? Inutile de chercher, le mot n'existe pas encore. Pourtant, la ville est là, vivante, gigantesque, énergétivore, grosse de quelque 150 000 habitants. Une population qui, aujourd'hui, revendique des liens sociaux et des repères afin de fonder une identité propre nécessaire pour construire le vivre-ensemble. Cette perspective est cependant tributaire d'un nouveau découpage administratif, une décision politique qui affranchirait Ali Mendjeli de la tutelle et lui offrirait sa propre pièce d'identité. Administrativement, la nouvelle ville Ali Mendjeli est rattachée à la daïra d'El Khroub. Territorialement, son assiette est située à cheval sur les communes d'El Khroub et de Aïn Smara. D'ailleurs, des immeubles sont sur la ligne qui sépare les deux communes ! Pourtant, la petite sœur a vite surpassé sa tutelle et compte aujourd'hui une population plus importante qui commande une gestion plus complexe. Situation inédite et paradoxale, affirme le géographe Marc Cote, pour qui «toute ville est un organisme vivant et a besoin d'une institution de gestion, unique, multifonctionnelle et forte». Le problème d'un découpage communal, créant une commune propre à Ali Mendjeli, est posé mais non résolu à ce jour, avait constaté l'éminent universitaire il y a quelques années. En dépit des promesses faites par l'ancien ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, rien n'a changé et la ville est surtout orpheline d'un organisme de gestion spécifique, contrairement à Sidi Abdallah par exemple, qui, elle, est coiffée par un établissement public de gestion ayant les pleins pouvoirs. «L'ensemble des procédures relèvent théoriquement des deux communes, en fait elles sont assurées par la wilaya, ce qui renforce le caractère centralisé des décisions», constate encore M. Cote dans son ouvrage publié en 2006 sous le titre Constantine, cité antique et ville nouvelle (Editions Médias-Plus). Maculée conception Le site a été conçu pour accueillir 300 000 habitants (l'équivalent de la population d'une grande ville comme Batna). Les mesures d'urgence pour soulager la ville historique ont fait de Ali Mendjeli, cependant, une ville de relogement, profitant aux habitants des bidonvilles et à un nombre important et incalculable de familles rurales, issues de wilayas limitrophes, «glissées» parmi les listes des bénéficiaires. Le programme est à mi-chemin et, aujourd'hui, la ville nouvelle vit et prospère malgré les défauts de conception et autres omissions. Elle ne semble nullement indisposée par cette dépendance à l'égard d'El Khroub et de Constantine, mais derrière les apparences poussent des besoins difficiles à satisfaire faute de services de proximité. A défaut de se pencher sur la question administrative, les pouvoirs publics tentent de réparer les erreurs de conception. Un plan d'urgence de mise à niveau, doté d'un budget de 44 milliards de dinars, a été lancé en septembre 2012 afin de rattraper les dysfonctionnements apparus dans la gestion dans les domaines de l'éducation, de la santé, du sport, du commerce et des loisirs. La sécurité des biens et des personnes est sans doute l'aspect le plus vulnérable ayant montré les faiblesses du statut actuel. L'absence d'une couverture suffisante et efficiente des services de police a permis au crime et à la délinquance juvénile de contrôler la ville dès sa naissance et jusqu'à ce jour. Il n'y a pas très longtemps, on comptait deux commissariats seulement pour 10 000 habitants ! La dégradation sécuritaire était prévisible, l'ouverture tardive de nouveaux postes de sûreté urbaine n'a pas répondu aux attentes de la population terrorisée, alors que les six nouveaux commissariats et le siège de la sûreté de daïra, construits dans l'urgence, ne sont pas encore fonctionnels. Entre temps, la population continue à grossir, le crime aussi. Un appendice géant Hormis l'activité commerciale qui attire des flux internes et externes, le cachet de la ville nouvelle est caractérisé par la violence qui stigmatise les habitants. Ses concepteurs ont parié sur les deux nouvelles universités – qui cumulent quelque 70 000 places pédagogiques et des dizaines de résidences universitaires – pour lui donner un statut de pôle universitaire national. Or, la situation périphérique de ces universités immunise la vile contre une hypothétique interaction avec les universitaires. L'économie saura-t-elle alors offrir la marque distinctive ? En tous cas, l'autonomie d'Ali Mendjeli dépendra aussi de son économie et des ressources fiscales. Un chapitre relégué au second plan, hélas, et dont les retombées influent négativement sur la croissance de la ville. La zone d'activités multiples établie sur 120 hectares demeure très peu profitable. Les centaines d'hectares de terre agricole et les nombreux sites miniers à proximité forment cependant un potentiel précieux. L'enjeu de la décentralisation réside dans le contrôle de la population, notamment électoral. Qui dit pouvoir local dit démocratie de la gestion et respect des choix des électeurs. A quoi donc sert-il d'offrir le statut communal à Ali Mendjeli si demain, son assemblée élue reproduit la même incompétence et la même rupture avec la population, s'interroge l'universitaire Wissem Meziane. Mais est-il possible de forger une nouvelle entité abstraite en l'absence d'une pièce d'identité formelle ? Il va aussi falloir penser à cette deuxième génération d'habitants née à Ali Mendjeli. Cette dernière, issue des «immigrés», manifeste plus d'attaches pour la ville natale et cherche à construire une identité avec des caractères spécifiques et autour de valeurs communes : la mort tragique des enfants Brahim et Haroun a été l'occasion d'entrevoir ce destin commun en gestation. Le drame étant un excellent levain pour créer des liens sociaux. Naître et mourir dans le même espace aussi, et surtout nourrir la passion chauvine et casser sa voix pour l'amour du même club de football. Le jour où Ali Mendjeli jouera le derby contre les clubs centenaires, le CSC et le MOC, ce jour-là la cité nouvelle deviendra historique et cessera d'être un appendice géant de la ville qui l'a enfanté.