Des cités entières, des quartiers assiégés pendant de longues heures par des bandes rivales qui se livrent bataille à coups d'armes blanches, de barres de fer et d'engins incendiaires : ces scènes, sorties tout droit d'un film américain sur la guerre des gangs dans les banlieues new-yorkaises, sont en passe de faire tache d'huile dans la société algérienne. Ce qui s'est passé cette semaine dans la capitale, à Aïn Naâdja, à la cité Melha, prise en otage pendant plusieurs heures au milieu d'un déchaînement inouï de violence de masse, visible sur les façades des immeubles noircies par les jets de cocktails Molotov, est suffisamment grave pour réduire cela à une affaire d'intervention policière et d'ordre public. Le phénomène a pris une telle ampleur que les parents, qui n'ont plus aucune emprise sur leur progéniture, demeurent impuissants à imposer leur autorité et faire respecter les règles de voisinage et de cohabitation citoyenne dans leurs cités. Dans ces ensembles d'habitations sans vie et sans âme, faits de béton froid, dépourvus de toute infrastructure socio-éducative et d'espaces verts, étouffant sous le poids de ses habitants, l'angoisse et la peur sont permanentes. Les effets pervers du melting-pot, consécutifs aux opérations de relogement et de transfert des habitants dans ces nouveaux projets immobiliers – lesquels reproduisent les modes de vie acquis dans ces zones de non-droit où ils faisaient régner leur loi – n'ont fait que délocaliser le mal. L'idée largement répandue selon laquelle la lutte contre la délinquance et la marginalité sociale, dont on a pensé pendant longtemps qu'elle passe essentiellement par la solution du logement en tant que facteur de stabilité, de cohésion familiale et sociale, a montré toute sa vacuité.Le logement n'est qu'un élément d'un tout. Notre jeunesse post-décennie noire a grandi avec les gènes ravageurs portés par la folie meurtrière de cette période noire de l'histoire récente de l'Algérie. Elle n'a connu de la vie que la violence, qui continue encore aujourd'hui de rythmer leur quotidien sous d'autres formes, mais avec toujours le même substrat : le défi de l'autorité et des lois sociales, le besoin d'affirmation de soi et de son identité dans une société qui les ignore, qui leur interdit d'avoir des rêves et des projets qui sont autant d'éléments qui forgent la personnalité d'un jeune et participent à son équilibre familial et social. Les jeunes qui basculent dans la violence organisée ne sont pas tous des délinquants en puissance. Beaucoup sont entraînés malgré eux dans la spirale de la violence pour se défendre et défendre leurs biens et leurs cités contre des agressions venues de l'extérieur, comblant souvent un déficit de sécurité non assumé par les pouvoirs publics. Bien qu'il ne faille pas dédouaner les actes de violence de ces jeunes, qui ne doivent pas rester impunis, il serait vain de croire que la solution à ce mal endémique qui ronge nos cités et nos quartiers populeux passe exclusivement par le tout-sécuritaire et la prison comme moyens de rédemption sociale. Il faut s'attaquer aux causes et non aux effets du mal. Tout un projet de société. C'est d'abord la responsabilité de l'Etat et ses institutions de l'école, des mass-médias, du mouvement associatif, de la famille, des spécialistes en sciences sociales… Il faut placer l'enfance et la jeunesse au cœur de la stratégie de développement national.