Les services de sécurité ne sont intervenus que deux heures plus tard. Scènes de «terrorisme» urbain à quelques kilomètres seulement des forteresses du pouvoir et de l'Etat. Hier matin, la cité Aïn El Melha, banlieue sordide du sud d'Alger, suintait la ruine et la dévastation. Des débris de verre et quantité de pierraille et de ferraille jonchaient les rues et les artères. Des devantures de commerce ont été saccagées et des dizaines de véhicules vandalisés. Certains véhicules ont été renversés, sens dessus dessous, pillés. Le spectacle des pare-brises déchiquetés plante le décor. Les résidants du lotissement AADL 1516 logements de Aïn El Melha (Gué de Constantine) se souviendront longtemps de cette nuit de dimanche à lundi qui a vu se déverser sur eux un torrent de violences d'une amplitude inégalée. Et pour cause ! Un gang de jeunes, habitant un quartier voisin a semé, impunément, jusqu'à tard dans la nuit, terreur et désolation. Une véritable descente punitive, racontent des témoins, pour venger l'un des leurs, passé à tabac au cours de la même journée. Armé de sabres, machettes, gourdins, couteaux de boucher, hachoirs et autres objets contondants, le gang en question a, en début de soirée, opéré des incursions au cœur de la cité, dévastant tout sur son passage. Les membres du gang ont tenté de s'introduire à l'intérieur même des immeubles. «On pensait vraiment qu'on allait tous y passer, nous et nos familles», dit un résidant. «Des scènes de panique qui ont duré de longues heures, raconte un autre. On entendait des cris de femmes et d'enfants apeurés, agglutinés aux balcons. Les vitres volaient en éclats, les systèmes d'alarme hurlaient. Des bagarres à l'arme blanche éclataient entre les assaillants et les jeunes qui essayaient de défendre leur cité. C'était le chaos.» Les services de sécurité, les gendarmes souvent requis en pareille circonstance, ne sont intervenus que deux heures plus tard. Après le forfait ! «Ce n'est que vers 1h30 du matin qu'ils ont débarqué. Après que les voyous eurent pratiquement tout cassé. Les autorités savaient pourtant ce qui se passait et les gendarmes avaient même envoyé sur les lieux une voiture de reconnaissance. Mais l'Etat nous a abandonnés.» L'attitude capitularde des services de l'Etat face à la petite et grande délinquance fait craindre le pire aux résidants ; certains n'hésitent pas à qualifier carrément d'«acte de démission caractérisée». La méga-cité de Aïn El Melha, à la population dense et hétéroclite, est une de ces nouvelles cités dortoirs, deshumanisées, où violence et trafics en tous genres prolifèrent à l'ombre de la République, sur fond de misère sociale et existentielle. La présence des services de l'Etat dans cette cité «numérique», dépourvue du minimum d'équipements publics, est quasi nulle. «La seule casquette qui se hasarde ici, c'est celle du facteur», ironise un locataire. Pourtant, Aïn El Melha n'en est pas à sa première guerre des gangs. Les affrontements entre bandes rivales, pour l'exploitation notamment des parkings et le contrôle des territoires et des trafics, font rage depuis plusieurs mois. En banlieue, la République n'a visiblement pas fini de démissionner.