Même s'il n'appartient pas à notre culture, le rap est devenu algérien. Il s'est trouvé un public homogène et notre langue l'a transformé mais il ne parvient pas à percer comme genre musical à part entière. Enquête. La musique de l'Oncle Sam, issue des ghettos noirs américains dans les années soixante-dix, est devenue aujourd'hui une culture urbaine chez les jeunes et l'Algérie n'en fait pas l'exception. Ils s'accordent tous à considérer le rap en Algérie comme «la musique qui parle le plus à la génération d'aujourd'hui», mais les moyens de son émancipation restent tout de même «insuffisants» ou carrément «inexistants». Les groupes et les rappeurs recensent les mêmes problèmes liés au manque d'espaces d'expression, l'inexistence d'un véritable marché du rap et le manque de considération de la part des responsables de la culture, à l'image d'Azzou Hood Killer de Annaba, Karim ElGang de Souk Ahras, Africa Jungle et Skunk d'Alger, Lax de l'Oranie, Karim Osm de Kabylie ou Desert Boys de Tamanrasset, dans l'extrême sud d'Algérie, et la liste est longue. «Le rap est un esprit. Etre artiste, c'est avoir une personnalité. Le hip-hop est une culture difficile à faire comprendre en Algérie», explique Naz-Dos du groupe Africa Jungle rencontré dans leur ville natale, à Staouéli (ouest d'Alger). Leur ami Hmitcha, compositeur, Dj et rappeur, considère plutôt le rappeur comme «reporter urbain». Les débuts du rap en Algérie ont été marqués par le désir de liberté et d'expression, notamment après l'ouverture démocratique, l'avènement de la liberté d'expression et l'abolition du régime unique en Algérie vers la fin des années quatre-vingt-dix. Depuis, plusieurs groupes et rappeurs ont fait leur apparition pour signer les premiers pas de ce nouveau style dans un pays qui connaissait à l'époque l'avènement du raï, un style révolutionnaire dans son genre.
MBS «Si on reprend le livre de Hadj Meliani, Etude sur les musiques et les chants d'Algérie d'hier et d'avant, le rap est apparu en Algérie dans les années quatre-vingt-dix, dans un contexte difficile, avec Hamidou, Intik, Hemma Boys, MBS, Tox et Double Kanon, dans trois grandes villes algériennes, à savoir Annaba, Alger et Oran», indique Ouahid Belfali, 42 ans, ingénieur et observateur de la sphère rap-dz. Quelques années plus tard, cette musique urbaine n'a pu rester sous la domination de certaines villes algériennes, et «elle s'est vite propagée dans tout le pays», comme l'affirme Farid Kalamity, rappeur compositeur, qui parle aujourd'hui d'un «public homogène» propre au rap algérien qui a su arracher sa place parmi tant d'autres genres musicaux en Algérie. Un avis partagé par Boualem Fedel, 38 ans, musicologue et chercheur en ethnomusicologie, pour qui le rap est un phénomène de générations. «La génération d'aujourd'hui ne se reconnaît plus dans les styles patrimoniaux tels que le haouzi, le chaâbi ou l'andalou, affirme-t-il. Moi-même, j'ai des difficultés quand j'enseigne la partie patrimoine dans les cours que je donne à mes élèves.» Ces jeunes artistes se sentent responsables et s'entraident afin de défendre l'image du rap algérien qu'ils veulent voir évoluer à l'instar de Karim ElGang, animateur d'une émission spécial rap algérien, baptisée Hip-hop Bladi. «Le rap algérien n'aura de reconnaissance qu'avec l'émergence de plusieurs rappeurs de bon niveau, entendu non seulement par les amateurs, mais par le peuple aussi», estime Karim ElGang considéré comme spécialiste du monde arabe, récompensé à maintes reprises en Algérie ainsi que dans certains pays voisins où il connaît un grand succès, notamment en Tunisie. «Il faut dire que le rap n'est pas riche en matière de musique, à la différence du jazz ou de la musique classique, car c'est une musique à texte, rajoute Boualem Fedel, c'est l'accès aux techniques et la facilité de diffusion qui ont permis son émergence.»
système Comme l'a défini Menad Harkat, jeune guitariste du groupe révolutionnaire Debza, le rap est révolutionnaire et contestataire dans son style et il doit suivre sa ligne comme l'a été aux Etats-Unis dans les années soixante-dix. Pour le cheikh du malouf, Hamdi Benani, le rap représente pour lui la révolution dans le domaine culturel. «Je leur conseille seulement d'écrire des paroles propres. Et puis, si j'avais vingt-ans, j'aurais sûrement fait comme eux», nous confie Hamdi Benani que nous avons rencontré dans son studio à Annaba. «Le système n'a pas permis aux générations post-indépendance d'avoir une tâche ou une mission historique. Le rap permet à ces jeunes de se valoriser, d'avoir un statut et un rôle dans la société contrairement à leurs aînés.» Les responsables culturels et les observateurs que nous avons rencontrés encouragent tous le rap et s'accordent à dire que les artistes doivent avoir plus d'espaces d'expression, de festivals, de formations et qu'il puisse y avoir de recherches qui feront évoluer ce style de musique à l'avenir. «Lors du Festival d'Alger, capitale de la culture arabe, j'ai aidé personnellement beaucoup de jeunes rappeurs à avoir des scènes. Les rappeurs savent capter des situations et les mettre dans une assiette musicale merveilleuse et c'est la raison pour laquelle ils ont réussi dans notre pays», déclare Abdelakder Bendaâmache, président du Conseil national des arts et des lettres qui rassure les rappeurs quant à la question du statut. «En tant que président du Conseil national des arts et des lettres, je rassure les rappeurs algériens quant à l'acquisition du statut d'artiste. Ainsi, ils ont le droit à la sécurité sociale et une reconnaissance de leur travail, car ils sont aussi artistes et auxquels je crois énormément.» Alors que plusieurs groupes sont parvenus au stade du professionnalisme, à l'image d'Africa Jungle, Karim ElGang, Lax et Azzou Hoodkiller, le marché du rap peine à exister. Certains ont pu exporter leur travail en Europe comme le groupe Lax qui a un pied entre Le Havre et Oran. D'autres ont préféré chanter dans leur langue natale comme Karim OSM de Béjaïa qui écrit en kabyle.
SUD Plus loin, dans le Sud algérien, Desert Boys de Tamanrasset et South Crew de Ouargla ont su s'imposer au Nord et se faire une place privilégiée dans l'univers du rap algérien. «Quand nous avons commencé, on était mal vus dans le pays des Gnawi. Nous avons été patients, car nous avons toujours cru en ce que nous faisions, et ce n'est qu'avec le travail que nous sommes parvenus là où nous sommes aujourd'hui», confie Adoula, du groupe Desert Boys. En matière de recherche, Oualid Belfali ne mentionne qu'une seule thèse réalisée par un binôme universitaire du Crasc, Belkacem Boudini et Daouda Hadria Nebbid. Pour assainir une vraie planète rap algérienne, Azzou Hood Killer conseille d'avoir «une vraie maison de production où les groupes rap puissent enregistrer dans des studios professionnels avec une promotion digne du nom dans les radios comme dans les chaînes de télévision». Tout ça doit être accompagné, comme le suggère l'artiste, «par des scènes, car c'est ce qui les fait vivre». Un avis partagé par Sool du groupe Africa Jungle qui souhaite créer des chaînes de télévison et des radios qui puissent réellement porter en main la diffusion du rap algérien avec des maisons d'édition qui réfléchiront à l'avenir de ce genre musical en Algérie. L'observateur attentif du rap-dz déplore cette situation et appelle les médias à s'intéresser davantage ainsi que les chercheurs à produire des réflexions autour de ce genre musical écouté, d'après lui, par la majorité de la jeunesse algérienne. «Est-ce que le hip-hop est ingrat ?», s'interroge Naz-Dos du groupe Africa Jungle, avant de citer Vicelow, rappeur parisien du groupe Saïane Supa Crew : «Oui, bien sûr. Ici, il faut qu'un artiste meure pour qu'ils disent tous qu'ils l'aiment.»