Quatre mois n'ont pas suffi au Dialogue national pour sortir la Tunisie de la crise où elle est plongée depuis l'assassinat, le 25 juillet dernier, de Mohamed Brahmi. Peut-on encore garder espoir ? Tunis. De notre correspondant
A voir l'ardeur des manifestations du 27 novembre de Gabès, Gafsa et Siliana, il s'affirme que les masses populaires sont sur le bord de l'explosion sociale. «Le Tunisien est, certes, pacifiste de nature et le peuple est jusque-là retenu par l'espoir de voir réussir le Dialogue national. Mais, attention, gare à la désillusion !», avertit le politologue Hamadi Redissi. Il est vrai que la rue a manifesté avec force tout au long de ces derniers mois. Des centaines de milliers de manifestants ont réclamé la chute du gouvernement Laârayedh et l'application de la feuille de route du quartette des organisations nationales. Mais les manifestations ont gardé leur caractère pacifique et n'ont jamais dérapé. «Rien ne garantit toutefois que cet aspect pacifique soit toujours de mise», ajoute le professeur Redissi. Depuis début octobre et la signature de la feuille de route de la transition démocratique par la majorité des partis politiques, la tension n'a cessé de monter aussi bien dans la rue, qu'entre les partenaires du Dialogue national. Du côté des citoyens, ces derniers avaient cru qu'un nouveau gouvernement allait prendre la place de celui de Ali Laârayedh, synonyme à leurs yeux d'instabilité sécuritaire et de hausse des prix. «Le Tunisien a été touché dans sa sécurité et son couffin», déplore Aurida, une ménagère de 45 ans. «Je ne permets plus à mes filles de rentrer après 19h», précise-t-elle. Pour ce qui est du coût de la vie, jamais les statistiques officielles n'ont affiché un taux d'inflation supérieur à 6% comme celui de 2013. «Les chiffres de l'INS sont même fantaisistes. L'inflation réelle est à deux chiffres», affirme l'économiste Mourad Hattab. «La tension sociale est à son paroxysme, surtout que les citoyens ne voient rien venir en termes de projets de développement, notamment dans les régions pauvres», ajoute cet expert. Blocage politique Sur le terrain politique, toutes les voies du Dialogue national sont bouchées. La voie gouvernementale a buté contre le nom du suppléant de Ali Laârayedh. Ennahdha, d'accord pourtant sur le principe d'une personnalité indépendante, n'a pas accepté d'alternative au candidat Ahmed Mestiri, rejeté par l'opposition. Les thèses de Mestiri sont considérées plutôt proches des islamistes et, en général de la troïka, dont il est l'un des ingénieurs. «Aussi démocrate soit-il, Marzouki ne pourrait prétendre être à égale distance de tous les intervenants», observe le politologue Hamadi Redissi. Depuis le feuilleton Mestiri, le processus gouvernemental est au point mort, tout comme le processus électoral. Le tribunal administratif a en effet accepté les recours contre les décisions de la commission de l'Assemblée constituante, chargée des élections des membres de l'ISIE. Retour à la case départ de ces élections. Dans le processus de rédaction de la Constitution, la commission des consensus a, certes, réduit le fossé des divergences, mais la question de la nature du régime politique divise toujours la classe politique. Alors qu'Ennahdha est pour un régime à prédominance parlementaire, même si le président de la République est élu. L'opposition est plutôt pour un équilibre plus effectif entre les attributions des deux têtes du pouvoir exécutif. Tension sociale, blocage politique… Les perspectives sont loin d'être claires en Tunisie.