Des maquis terroristes sur les monts Chaâmbi et Samama, une situation économique et financière à la limite de la faillite et une inflation galopante marquent la Tunisie après deux années d'exercice (23 octobre 2011 – 23 octobre 2013) du pouvoir par Ennahdha. Tunis De notre correspondant Il n'y a pas de quoi pavoiser même si cette date coïncide avec l'ouverture du dialogue national. L'opposition, présente dans ce dialogue, appelle par ailleurs à descendre dans la rue pour demander le départ du gouvernement et installer une équipe de compétences indépendantes. Un flou artistique marque la scène politique en ce 23 octobre, à l'aube du lancement d'un Dialogue national de toutes les incertitudes malgré l'attachement déclaré de tous les partis politiques à sa réussite. En effet, le pouvoir et l'opposition continuent à manœuvrer pour améliorer leur positionnement sur l'échiquier politique. «S'il est acquis que c'est la voie du consensus qui l'a emporté en Tunisie, les termes dudit consensus seront délimités par les équilibres sur le terrain. Le programme et l'équipe du gouvernement de technocrates, devant suppléer celui de Ali Laârayedh, n'ont pas été encore fixés. Les différends sur le projet de Constitution n'ont pas été résolus. L'ISIE et la loi électorale n'ont pas été finalisées. C'est pourquoi nul ne peut crier victoire», explique le politologue Hamadi Redissi. Celui-ci mentionne en outre que «les manœuvres politiciennes se poursuivent entre le pouvoir et l'opposition». «La prochaine étape est celle de toutes les incertitudes malgré l'existence de la feuille de route du quartette des organisations nationales, signée par les partis politiques les plus influents dans l'Assemblée nationale constituante. Ladite feuille de route a tracé le chemin, sans entrer dans les détails qui vont être clarifiés durant les travaux des ateliers du dialogue national, selon le calendrier établi par la feuille de route», soutient encore Hamadi Redissi. Guerre de positions A voir les rebondissements ces derniers temps sur la scène politique, aussi bien chez Ennahdha que dans l'opposition, l'on se croirait face à des combinaisons de trapézistes. En limitant le bilan aux derniers jours, deux faits saillants sont retenus par tous les observateurs. D'une part, le double langage criard adopté par Ennahdha. Alors que Rached Ghannouchi et Ali Laârayedh avaient clairement accepté le remplacement du gouvernement de la troïka par une équipe de technocrates avant l'adoption complète de la Constitution, ce dernier a donné un entretien, dimanche soir, à Reuters dans lequel il a rompu avec le discours repris mécaniquement durant des semaines sur «la condition de l'adoption définitive de la nouvelle Constitution» pour évoluer vers «la clarification de la Constitution». Il a parlé à Reuters de «consensus sur un nouveau gouvernement suite à la clarification de la Constitution et de l'ISIE, par la voie de la légalité représentée par l'Assemblée nationale constituante». Pour tout le monde, la direction d'Ennahdha et la présidence du gouvernement avaient lâché du lest sur une question ayant causé jusque-là une polémique. Mais leurs services respectifs n'ont pas suivi. Un communiqué de presse du bureau d'information d'Ennahdha a indiqué, vendredi soir, que Ghannouchi n'a pas dérogé à l'ancienne position du parti sur le parallélisme entre les processus gouvernemental et constitutionnel. De même, le bureau d'information de la présidence du gouvernement a critiqué dimanche soir Reuters, l'accusant de «rétrécir» les réponses de Ali Laârayedh sur la question. Comme quoi les dirigeants d'Ennahdha ont besoin de leurs services de presse pour «expliciter» la portée de leurs déclarations. Plus double langage que ça, tu meurs ! Chez l'opposition, le jonglage se présente autrement. Tout en annonçant son attachement au dialogue national et exprimant tous les souhaits du monde pour sa réussite, l'opposition appelle à une grande marche demain pour la chute du gouvernement et l'application de la feuille de route du dialogue national. L'opposition fait donc appel à la rue pour imposer sa vision des choses : annonce aujourd'hui du principe de démission du gouvernement et passage effectif de témoin dans trois semaines ; pas de retour des députés qui se sont retirés avant l'annonce de la démission du gouvernement. Pour l'opposition, la légalité consensuelle doit être la référence à partir du lancement du compte à rebours du calendrier du Dialogue national. L'ANC n'étant plus que la structure nécessaire pour faire passer le consensus. Ennahdha ne l'entend certes pas de cette oreille. Mais les islamistes ont-ils vraiment le choix ? Les islamistes d'Ennahdha ne peuvent s'en vouloir qu'à eux-mêmes s'ils sont dans une situation aussi embarrassante après deux années d'exercice du pouvoir. Les deux gouvernements formés autour d'Ennahdha ne sont pas, en effet, parvenus à réaliser les objectifs pour lesquels l'Assemblée nationale constituante a été élue, à savoir la rédaction de la Constitution et la préparation des prochaines échéances électorales, sans parler des questions socioéconomiques comme le chômage, la pauvreté ou le déséquilibre entre les régions. Ce déficit de réalisations les pousse dans leurs derniers retranchements. Mais jusqu'où le parti Ennahdha va-t-il céder ?