Malgré le terrorisme sur les montagnes de Chaâmbi à la frontière algérienne, les assassinats de Belaïd et Brahmi, la dévaluation de la note souveraine de la Tunisie, les islamistes d'Ennahdha continuent à ignorer la crise et affirmer que la Tunisie ne souffre que de quelques problèmes de transition, surmontables avec le dialogue. Pourquoi un tel entêtement ? Tunis (Tunisie). De notre correspondant De la bouche de son leader, Rached Ghannouchi, Ennahdha refuse de reconnaître la crise en Tunisie, ce qui a enragé les parrains du dialogue national, le secrétaire général de la centrale ouvrière, UGTT, Hassine Abbassi, et la présidente de la centrale patronale, UTICA, Wided Bouchemmaoui. Ces derniers ont réaffirmé, hier suite à un entretien, leur attachement au gouvernement de technocrates, refusé par Ghannouchi. Pour la société civile et la quasi-majorité de la classe politique, la porte du salut est le départ de Laârayedh et la désignation d'un gouvernement de technocrates. Mais Ennahdha ne l'entend pas de cette oreille et essaie de renverser la vapeur sur le terrain. En effet, durant les dernières 72 heures, les islamistes ont multiplié les déclarations dans les médias pour essayer de reprendre l'initiative sur le terrain, histoire de remonter le moral de leurs troupes, tant les islamistes étaient submergés par l'opposition dans la rue et sur la scène médiatique pendant les sit-in du Bardo et les manifestations du 13 août. Ainsi, Rached Ghannouchi a nié avant-hier l'existence d'une crise en Tunisie. «Parler d'impasse est exagéré. Il suffit de reprendre les travaux de l'ANC et l'ISIE sera formé dans une semaine au maximum alors que la Constitution sera prête avant fin septembre, pour une clôture des travaux avant le 23 octobre», a-t-il souligné dans l'insouciance la plus totale. «A l'entendre avancer ces affirmations, on serait tenté de le croire si l'on ne savait pas que les députés ont mis quatre mois pour élire sept membres sur les neuf de l'ISIE et seize mois pour parvenir à une mouture de la Constitution comportant encore onze divergences sur des questions fondamentales. Par ailleurs, déjà avant la scission, ils ne sont pas parvenus à finaliser l'élection de l'ISIE. Que dire maintenant ?», lui réplique le politologue Hamadi Redissi. «C'est juste du bluff pour essayer de rabaisser la contestation de la société civile, des constituants réfractaires et de la foule», ajoute l'universitaire. Outre cette minimisation des difficultés rencontrées par la troïka, Ennahdha est revenu encore une fois sur l'accusation des médias, «responsables du pourrissement de la situation par la diffusion de contre-vérités». Le communiqué publié avant-hier par Ennahdha s'attaque à l'instance de l'audiovisuel qui «n'aurait pas joué son rôle régulateur». Noureddine Bhiri a nié avant-hier l'existence de structures parallèles au ministère de l'Intérieur, alors que l'information circule depuis plusieurs mois, avec des accusations nominatives directes, sans qu'il y ait la moindre réaction. Le ministre conseiller a demandé aux médias de respecter la déontologie et d'être plus professionnels dans la diffusion des informations. Donc, négation de la crise et accusation des médias. Pour Ennahdha, les assassinats politiques, les terroristes à Chaâmbi, le gel de l'ANC, sans parler de chômage et d'inflation. Tout cela ne suffit pas pour parler de crise. Les islamistes sont-ils myopes à ce point ?
Manœuvre ? Tout le monde sait qu'à Ennahdha, c'est au sein du conseil de la choura que les grandes décisions sont prises, comme l'a dit Ameur Laârayedh dans sa récente interview à Achark Awsat. Mais si Ghannouchi annonce cette fin de non-recevoir, 48 heures avant la tenue du conseil, les bases d'Ennahdha ne vont pas prendre une position, beaucoup plus souple, notamment, concernant le gouvernement de technocrates. Ce conseil est connu pour être dominé par les faucons, difficilement domptés par Ghannouchi. La preuve, le chef d'Ennahdha s'est fait accompagner par Abdellatif Mekki, un super faucon, lors des dernières négociations avec l'UGTT. Donc, pas d'espoir de modération, ni de consensus, de ce côté. Par ailleurs, les incidents en Egypte vont pousser Ennahdha vers plus de radicalisation contre les «putschistes», de tous bords, assassins de leurs frères égyptiens. Les islamistes vont essayer de détourner les regards de l'opinion publique, autant que possible, vers ce dossier. Ennahdha est désormais l'unique rescapé au pouvoir du «printemps islamique». Ce n'est donc pas facile de lâcher le fauteuil, surtout que l'est certain que la reddition des comptes est évidente avec les bourdes commises dans l'exercice du pouvoir en Tunisie, comme ce fut le cas pour Morsi en Egypte. Ghannouchi, Jebali et consorts ne veulent pas être à la place du président égyptien. Ils vont tout faire pour éviter cette alternative. Tout cela mène à dire qu'Ennahdha, et la Tunisie sont à la croisée des chemins.