Les habitants du quartier Tribou de Bab Ezzouar ont cette particularité de donner l'impression de ressembler à des menuisiers : quand ils vous parlent, ils crient. Mais ils finissent par se retracer en considérant qu'il ne faut pas voir en cette attitude un signe d'arrogance ou d'orgueil de leur part. Il est connu que ceux qui manient le bois élèvent toujours la voix, même dans les endroits les plus calmes. C'est que le bruit généré par les machines dans leurs ateliers les oblige à crier fort pour espérer se faire entendre. Avec le temps, ce comportement devient un réflexe. Les citoyens de Tribou sont logés à la même enseigne. L'implantation, depuis 1978, d'une centrale électrique à proximité du quartier a laissé les portes ouvertes à toutes les nuisances. Les menuisiers ont, cependant, la possibilité de mettre un terme à leur calvaire : arrêter le fonctionnement de machines, aller faire un tour ou, dans le pire des cas, changer de métier. A Tribou, rien de tel n'est possible. La centrale électrique pousse ses « gémissements », de façon régulière, quotidienne et depuis des années tout en perdurant. « Le déplacement de la centrale est impossible », affirme, avec résignation, M. Guellati, président du comité du quartier, en reprenant le wali délégué de la circonscription administrative de Dar El Beïda, M. Benmensour. La décision d'implanter l'usine à quelques pas des habitations (ou le contraire) est bien aléatoire. Si les habitants de Tribou en souffrent énormément, ce qu'ils viennent de proclamer publiquement, ceux de Sorécal supportent les nuisances dans la silence. « Ici, tout le monde est nerveux. Plusieurs personnes ont contracté des maladies. C'est infernal », s'emporte un père de famille, dont la maison est à trois mètres de l'usine ! Une route seulement les sépare. La logique voudrait donc que les résidants soient évacués sans délai. C'est la solution de tous les embarras, mais c'est aussi là que le bât blesse. « Plusieurs exécutifs se sont succédé à la tête de l'Apc, mais aucun d'eux n'a pris un quelconque engagement envers nous. L'ex-wali délégué de Dar El Beïda a cependant eu l'audace de visiter les lieux. Il avait affiché sa compassion, ce qui est insuffisant pour éteindre notre douleur », fait remarquer un habitant, né à Tribou, la soixantaine consommée. « Tout le monde est au courant de notre situation critique sans que personne lève le petit doigt », affirme-t-il. Le résultat de ce laisser-aller est là : quelque 250 familles, selon les chiffres du comité, vivent la précarité dans toutes ses déclinaisons. La construction du quartier remonte, indique-t-on, à l'époque coloniale, vraisemblablement aux années 1920. Aménagées sur plusieurs colonnes et collées les unes aux autres, ces maisonnettes, très anciennes et fragiles, abritent toujours les premiers habitants de la localité. Par endroits, d'autres habitations récentes ont été construites. L'exiguïté vécue dans la chair « Je suis né dans ce quartier. A l'époque, existaient ces maisonnettes au milieu de champs agricoles qui s'étendaient à perte de vue. Aujourd'hui, les choses ont changé : partout des bâtiments, des lotissements et des villas. Les habitants du village, par contre, s'enlisent dans l'indifférence des pouvoirs publics qui assistent en spectateurs », s'emporte un homme âgé. « Aucune famille de Tribou n'a bénéficié de logement depuis que nous sommes là », renchérit-il. Des décisions d'octroi de lots de terrain, délivrés par l'APC en 1995, n'ont jamais servi à quelque chose. « Les terrains en question sont situés dans la zone du Mercure. C'est trop beau pour qu'ils soient attribués aux gens de Tribou », indique-t-on. Pas de lots de terrain et pas de logements, du moins dans l'immédiat. Cela constitue une source de ressentiments des citoyens envers les autorités locales. Ainsi donc, les premiers d'hier sont devenus les derniers d'aujourd'hui. Cet abandon a contraint ces familles à vivre dans l'exiguïté très mal vécue. « J'habite dans deux petites pièces avec mes 6 enfants (trois filles et trois garçons). Les filles dorment avec leur mère et les garçons avec moi. Il m'est pratiquement impossible d'être dans l'intimité avec ma femme. Même pour pouvoir aller aux toilettes ou se changer, il faut faire la queue. C'est affreux comme mode de vie », témoigne un habitant. Son voisin trouve « indécent » et même « immoral » le fait qu'il partage la même pièce avec sa fille de 18 ans et le même lit avec son fils de plus de 30 ans. La manifestation de dimanche dernier n'est en définitif qu'une réaction légitime de leur part. Faute d'être écouté, ils obligent les responsables locaux à « négocier ». « Toujours des promesses, nous en avons marre ! », avaient crié plusieurs habitants à l'adresse du chef de cabinet de l'ex-daïra de Dar El Beïda, venu en catastrophe, le jour de la manifestation. « A la veille du passage du président de la République, le 8 avril dernier, pour l'inauguration d'un lycée ici à Bab Ezzouar, on est venu nous demander de ne pas créer des problèmes. En contrepartie, nous avons eu la promesse quant à la prise en charge de nos doléances, ce qui n'a toujours pas été fait », révèle un membre du comité qui a regretté le fait de laisser passer cette « occasion » afin de se faire entendre par les plus hautes autorités du pays. Tout compte fait, la manifestation de dimanche dernier semble apporter ses fruits. Le comité du quartier a décidé de prendre tout ce qu'on lui donne en attendant de réclamer de nouveau. Le wali délégué de Dar El Beïda leur a promis l'octroi de 20 logements et de 25 chalets ainsi que des aides sociales pour 45 familles et des étals au niveau du marché 8 Mai 1945 de Sorecal pour les jeunes chômeurs de Tribou. Le tout au plus tard en juillet prochain. Une nouvelle promesse ?