Les séquences télévisées s'évertuant à entretenir l'illusion d'un Président en pleine forme n'auront fait que conforter l'opinion dans l'idée que le chef de l'Etat n'est plus en possession de tous ses moyens. Il va très bien, il vous embrasse», lance Sellal à une journaliste du Monde qui s'enquérait de l'état de santé du Président. C'était à l'occasion de la conférence de presse animée conjointement, hier, avec son homologue français, Jean-Marc Ayrault. Interrogé sur les intentions électorales du Président sortant, Sellal réplique, prudent : «S'il veut poursuivre sa mission, il le décidera en son âme et conscience.» Et de renchérir : «Ne vous inquiétez pas (...), il a les capacités, j'ai été à ses côtés longtemps, c'est un grand monsieur.» Mais malgré toutes les assurances de Sellal, nous sommes bien obligés de constater que le «rendement» présidentiel est au plus bas, ce qui nous amène à douter fortement des prétendues «capacités» du chef de l'Etat à assumer dignement ses fonctions. En tout cas, les faits sont têtus. Depuis son AVC, le président de la République n'est plus qu'un spectre. L'activité présidentielle est réduite à quelques messages de félicitations et autres audiences protocolaires. Il a tout de même raté les funérailles de Mandela, un événement qu'il n'aurait manqué pour rien au monde, c'est dire... Les indiscrétions filtrant de la part de ceux qui l'ont approché font toutes état d'un Président fortement diminué. «Il n'arrive même pas à sortir un son de sa bouche», glisse un membre d'une délégation étrangère en visite récemment à Alger. Au demeurant, les images sont criantes. Les séquences télévisées s'évertuant à entretenir l'illusion d'un Président en pleine forme n'auront fait que conforter l'opinion dans l'idée que le chef de l'Etat n'est plus en possession de tous ses moyens. Et c'est un doux euphémisme. Après ses 80 jours de soins outre-mer, Bouteflika semble entré dans une convalescence prolongée dont il peine à se relever. Entre les images le donnant cloué sur un fauteuil roulant et celles le montrant en conciliabule avec Sellal et Gaïd Salah, vêtu d'un gilet Lacoste quand il n'est pas carrément en robe de chambre, difficile de chasser l'impression que le premier magistrat du pays n'est plus en état de gouverner. Sans parler de ses difficultés à articuler ou à soulever sa tasse de café. Et même quand il a réendossé son costume d'apparat, ce n'était que pour sauver les apparences. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le mal est profond et le mensonge trop grossier. Même un médecin stagiaire, sans avoir à l'ausculter, conclurait au même diagnostic : le Président est kaput et n'est plus en mesure de tenir son rang. Une seule sortie en sept mois Prenons la journée d'hier. Hormis l'audience accordée à Jean-Marc Ayrault, les dépêches APS du jour n'avaient que de laconiques messages de félicitations à se mettre sous la dent. «Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a adressé un message de félicitations à son homologue kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, à l'occasion de la fête nationale de son pays» indique une dépêche. Une autre annonce : «Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a adressé un message de félicitations au roi du Bahreïn, Hamad Ben Aïssa Al Khalifa, à l'occasion de la fête nationale de son pays.» Sur le site officiel de la présidence de la République (http://www.el-mouradia.dz), sous la rubrique «activités présidentielles», le calendrier desdites activités est arrêté à la date du 26 novembre 2013 et cette info : «Le Président de la République reçoit le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui lui a rendu une visite de courtoisie.» En ordre décroissant, il est fait mention, respectivement, de l'audience accordée par le chef de l'Etat au patron d'Ennahdha, Rached Ghannouchi (15 novembre 2013). Le 10 novembre, il avait reçu Lakhdar Brahimi. A la clé, ces images cocasses diffusées en plein JT de 20h où les neveux du Président sont entrés dans le cadre, gâchant, pour le coup, le peu de solennité dont pouvait se parer cette cérémonie. Après cette date, c'est un trou béant jusqu'au 14 octobre. Ce jour-là, Bouteflika avait eu un énième entretien avec Gaïd Salah. Et c'est la seule «activité» mentionnée pour tout le mois d'octobre. En septembre, le fait marquant est, bien entendu, Bouteflika qui préside un Conseil des ministres, le premier depuis son AVC. Au menu de ce Conseil, entre autres, le projet de la loi de finances 2014. Sur la photo de famille prise à l'issue de cette réunion, l'image, est, là aussi, parlante : Bouteflika pose avec ses ministres, assis dans un fauteuil. A part cela, il y a lieu de relever sa tentative de médiation, le 11 septembre, entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, et c'est à peu près tout. Hormis ces quelques sorties publiques, c'est le calme plat. Il faut remonter jusqu'au 17 avril pour trouver trace de la dernière apparition de Bouteflika hors du palais d'El Mouradia, quand il s'était rendu au Palais du peuple pour se recueillir sur la dépouille de Ali Kafi. Un «quart» de Président Force est de le constater : ce bilan est loin de soutenir la comparaison avec le relevé de ses activités du temps où il carburait à plein régime. Lui qui martelait, à son arrivée au pouvoir : «Je ne suis pas un trois quarts de Président !» laisse le sentiment qu'il n'est plus, quatorze ans plus tard, qu'un quart de Président. En témoigne, justement, son agenda famélique. Si bien que Sellal a été appelé à la rescousse pour combler la vacance de la fonction présidentielle et faire croire que l'Etat est toujours debout malgré la panne du timonier. On a vu, d'ailleurs, comment le Premier ministre crapahutait à travers les wilayas, se livrant à un marathon qui n'est pas sans rappeler les visites de terrain effrénées de son boss en période préélectorale. A telle enseigne que d'aucuns parlent de Sellal comme d'un possible candidat du système pour succéder à Bouteflika. Dans un article publié par le journal électronique maghrebemergent.com, ce samedi, sous le titre : «Présidentielle : un compromis Bouteflika-ANP sur la candidature d'Abdelmalek Sellal se précise», notre confrère El Kadi Ihsane écrit : «L'accident vasculaire cérébral du chef de l'Etat, le 27 avril dernier, a (…) changé la feuille de route. L'actuel Premier ministre est devenu le dépositaire non exclusif de l'héritage bouteflikien. Il est un plan B du système, passé au rang de plan A dans le plus grand secret, en attendant de devoir, sans doute, se dévoiler dans quelques semaines.» Il n'est pas à écarter, en tout cas, que l'actuel locataire d'El Mouradia prenne enfin la mesure de ses propres limites et consente à quitter le pouvoir de son propre chef, sous peine d'en être évacué sur une civière. Bouteflika le sait sans doute mieux que personne : s'il prenait le risque de se présenter à un quatrième mandat, son principal adversaire sera son propre corps…