Le Tchad est en train de dilapider, en République centrafricaine (RCA), le capital sympathie engrangé au Mali, où son armée a combattu ces derniers mois les terroristes d'AQMI aux côtés des troupes françaises engagées dans l'opération Serval. La raison ? N'Djamena est actuellement accusée de continuer à soutenir en sous-main les éléments des ex-rebelles Séléka qui ont renversé, le 24 mars 2013, le président Bozizé au lieu d'œuvrer à éteindre le feu de la crise politique en Centrafrique, qui risque maintenant de se transformer en conflit ouvert entre musulmans et chrétiens centrafricains. Il faut savoir qu'un millier de personnes ont déjà été tuées depuis le 5 décembre à Bangui et dans ses environs, dans les attaques des milices chrétiennes d'autodéfense anti-Balaka et dans les représailles de Séléka contre la population. Pour mettre fin aux «parasitages» de N'Djamena qui aurait pu entraîner la RCA dans la même logique qui a conduit à la partition du Soudan (des membres de Séléka ont demandé cette semaine à séparer les populations du nord de celles du sud), la décision a d'ailleurs été prise hier de redéployer le contingent tchadien de la force africaine en Centrafrique (850 hommes sur les 4000 au total de la Misca) se trouvant actuellement à Bangui. Celui-ci est notamment mis en cause, y compris par des officiers de la Misca, dans plusieurs incidents qui ont failli embraser cette semaine la capitale centrafricaine. Hier encore, la situation à Bangui était loin de s'être calmée. Des tirs se sont poursuivis dans plusieurs quartiers de Bangui, et s'intensifiaient en particulier aux abords de l'aéroport, où sont basés les militaires français de l'opération Sangaris et de la force africaine (Misca). Des tirs éclataient à intervalles réguliers, sans qu'il soit possible d'en déterminer l'origine ou les belligérants impliqués. Pris de panique, les habitants de la capitale centrafricaine ont fui ou se sont enfermés chez eux. Le jeu trouble de N'Djamena La présence, à Bangui, du contingent tchadien était devenue indéfendable surtout après les tirs fratricides qui ont eu lieu au sein même de la force africaine entre militaires tchadiens et burundais. Pour la communauté internationale, la ligne rouge venait d'être franchie. Le contingent tchadien commençait à devenir un réel facteur d'instabilité. Le chef du contingent burundais a, à ce propos, révélé mardi que ses hommes avaient été, la veille, la cible d'une attaque de soldats tchadiens, avec tirs d'armes automatiques et jets de grenades. Les Tchadiens, dont trois ont été blessés, ont finalement été repoussés par les militaires burundais qui ont indiqué n'avoir «aucune responsabilité dans ces incidents». Le matin même, une patrouille tchadienne avait brièvement ouvert le feu – sous les yeux de journalistes – sur des manifestants anti-Séléka devant l'aéroport, faisant un mort. Ces incidents à répétition ont, en tout cas, eu pour effet de susciter un important ressentiment chez de nombreux Banguissois, qui ont fini par considérer les soldats de N'Djamena comme des «complices» des ex-rebelles Séléka et non comme des soldats de la paix. Le président déchu, François Bozizé Yangouvonda, accuse, pour sa part, directement Paris d'avoir demandé à N'Djamena de le renverser pour le «punir» d'avoir octroyé des marchés et des concessions pétrolières à des opérateurs chinois. C'est ce qui expliquerait aussi, selon lui, le retour de la France en RCA. «Tous mes problèmes viennent du pétrole», a-t-il confié dernièrement à la presse. Pour François Bozizé, il y a une volonté manifeste d'instrumenter les Centrafricains musulmans et chrétiens pour reprendre le contrôle des richesses de la RCA et d'en chasser les Chinois, ce dont se défend Paris qui justifie son intervention dans la région par des impératifs humanitaires. Traditionnellement très actif en Centrafrique qu'il considère comme sa zone d'influence et son pré carré, le Tchad du président Idriss Déby Itno, grand allié de la France dans la région, est omniprésent dans le pays. Il y joue «officiellement» le rôle de protecteur de la minorité musulmane. Mais en réalité, il est surtout là pour s'assurer de la pérennité du pouvoir du président Michel Djotodia qui fut le chef des Séléka et qui visiblement arrange beaucoup ses intérêts. Le redéploiement de ses troupes vers les confins du nord, régions frontalières du Tchad et du Soudan majoritairement musulmanes et parmi lesquelles vivent de nombreux Tchadiens, va probablement marquer un petit recul de l'influence de N'Djamena sur les événements en cours dans la capitale centrafricaine. Mais peu importe, sa mission est peut-être déjà terminée.