Le président centrafricain Michel Djotodia a lancé mardi un nouvel appel à la paix, dans une capitale Bangui toujours en effervescence, qui se préparait à passer un réveillon de Noël sous couvre-feu et dans la psychose de nouvelles violences "Aimez-vous les uns les autres! On retrouve ça dans la Bible et le Coran", a longuement plaidé au cours d'une conférence de presse le président Djotodia, entouré du Premier ministre Nicolas Tiangaye et des chefs des communautés catholique, protestante et musulmane. M. Djotodia, arrivé au pouvoir en mars 2013 à la tête de la rébellion de la Séléka (coalition à dominante musulmane venue du nord du pays), a accusé le président déchu François "Bozizé (en exil) et ses complices" d'être derrière les "massacres" interreligieux qui ensanglantent le pays et ont fait près d'un millier de morts en trois semaines. Il a sévèrement désavoué les propos de son conseiller Abakar Sabone, qui avait évoqué dimanche une sécession prochaine entre le nord et le sud, provoquant un coup de tonnerre politique. Ces déclarations sont une initiative personnelle et "méritent une sanction sévère (...). La Centrafrique est une et indivisible!", a martelé le président de transition, censé quitter le pouvoir avant l'organisation d'élections début 2015. M. Djotodia a par ailleurs annoncé l'interdiction de "toute marche illégale" dans la capitale où se multiplient ces derniers jours "manifestations désordonnées et non-autorisées qui attisent la haine". Le matin même, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblés au PK5, un quartier mixte à dominante musulmane, régulièrement le théâtre d'affrontements entre milices chrétiennes d'autodéfense "anti-balaka" (anti-machette, en langue sango) d'un côté, et civils musulmans et éléments de l'ex-Séléka de l'autre. Après une incursion d'anti-balaka pendant la nuit, les habitants entendaient marcher "pour la paix", et dénoncer "la "partialité" selon eux des 1.600 soldats français de l'opération Sangaris, déployés depuis le 5 décembre en RCA en soutien à une force africaine (Misca) pour tenter de rétablir la sécurité. "Les Français ont pris le parti de ceux qui nous attaquent", affirmait l'un des manifestants, Jibril Assil. "Le pays est attaqué par les anti-balaka, la première action de la France a été de caserner les Séléka, au bénéfice des assaillants anti-balaka qui sont maintenant en train de conquérir la capitale", dénonçait un autre protestataire. C'est le troisième rassemblement du genre depuis dimanche: la minorité musulmane reproche aux Français de les laisser sans défense face à la vindicte populaire des habitants de Bangui, très majoritairement chrétiens, soumis pendant des mois aux exactions de la Séléka et qui ont aujourd'hui soif de vengeance. "Soyons des artisans de paix" Face à ces accusations, les militaires français n'ont de cesse de réaffirmer leur "impartialité". S'exprimant mardi au côté de M. Djotodia, le Premier ministre a défendu leur action: "Il n'est pas dans la vocation de Sangaris de désarmer uniquement les ex-Séléka et de laisser les anti-balaka". "La polarisation sur les troupes tchadiennes est un faux problème", a également assuré M. Tiangaye, qui s'est refusé à critiquer le contingent tchadien de la Misca, mis en cause de façon répétée ces derniers jours. Le chef du contingent burundais a révélé que ses hommes avaient été lundi la cible d'une attaque de soldats tchadiens, avec tirs d'armes automatiques et jets de grenades, au moment où les Burundais étaient en train de désarmer des éléments Séléka. Les Tchadiens, dont trois ont été blessés, ont été repoussés "sans aucun problème" par les militaires burundais qui n'ont "aucune responsabilité dans ces incidents". "Nous n'avons aucun contentieux avec aucune partie de la population centrafricaine, nous", a souligné le lieutenant-colonel Pontien Hakizimana. N'Djamena n'a pas encore réagi officiellement. Mais l'incident est peu ordinaire: des soldats de la paix qui se tirent dessus entre eux. Il pose une nouvelle fois la question de l'attitude du contingent tchadien (850 hommes sur les 3.700 au total de la Misca), vu par de nombreux Banguissois comme "complice" des ex-Séléka. Lundi matin, une patrouille tchadienne avait brièvement ouvert le feu --sous l'oeil des journalistes-- sur des manifestants anti-Séléka devant l'aéroport, faisant un mort. Traditionnellement très influent en Centrafrique, le Tchad du président Idriss Déby Itno est le premier partenaire de la France dans ses efforts pour rétablir la paix dans le pays. La défiance croissante des Centrafricains envers le contingent tchadien complique encore un peu plus la tâche des militaires français. Partout dans la capitale, les tensions intercommunautaires restent très vives et la situation extrêmement précaire. Les patrouilles des soldats français et des troupes africaines ne suffisent pas pour étouffer les haines et éteindre les nombreux incidents qui éclatent quotidiennement au cœur des quartiers. Selon des témoins, les violences du jour fait cinq morts, dont trois dans l'attaque d'un véhicule à Gobongo par des anti-balakas qui interdisent la circulation vers la sortie nord de la ville. Médecins sans Frontières (MSF) a indiqué avoir pris en charge près de 200 blessés pour ces quatre derniers jours à Bangui qui a "renoué avec la violence" après un court répit la semaine dernière. Mardi, un accident, apparemment un véhicule d'ex-Séléka qui s'est retourné en fin de matinée au PK5 après avoir été caillassé, a provoqué la panique et fait fuir des centaines d'habitants du voisinage, selon des témoins. La messe du réveillon de Noël à la cathédrale, qui s'est déroulée dans l'après-midi pour cause de couvre-feu, a attiré de nombreux fidèles qui ont écouté avec ferveur l'émouvant sermon de l'archevêque Dieudonné Nzapalainga: "soyons des artisans de justice et nous serons des artisans de paix".