La demande en produits laitiers sur les marchés internationaux ne cesse de progresser, alors que l'offre a connu une baisse ces derniers mois en raison notamment de la sécheresse dans les pays producteurs. Ce qui explique entre autres, selon Mohand Amokrane Nouad, expert en agroalimentaire, la hausse des cours de la poudre de lait et la dernière augmentation du prix du lait non subventionné en Algérie. -Quels sont les principaux indicateurs de la filière lait en Algérie ? La consommation par habitant/an est mal cernée ; en 2005 on parlait de 100 litres et aujourd'hui on annonce 150 litres, et si on se réfère aux statistiques du MADR pour l'année 2012 on se retrouve avec 200 litres et aucun indice n'est apparent quant à cette augmentation. La production nationale pour 2012 est de 3,1 milliards de litres, soit une satisfaction de 88 litres/habitant et par an qui est supérieur aux Tunisiens (78 l) et des marocains, moins de 60 l. Le lait usinable avoisine un milliard de litres et la collecte affiche 815 millions de litres pour cette année, soit un taux de couverture de plus de 80%. Tous ces indicateurs posent la vraie problématique de la filière lait et la réponse stratégique adoptée à aujourd'hui doit nous interpeller pour la reformuler dans un nouveau système alimentaire plus cohérent et complet et sortir du couple traditionnel «pain et lait» qui représente plus de 50% de nos importations alimentaires. La politique des quotas et «le monopole exercé par les pouvoirs publics biaisent quelque peu la compétitivité de cette filière et son adossement aux marchés internationaux. La crise a atteint son pic en avril 2013, et on la ressent chez nous en janvier 2014. La poudre de lait et le lait cru local sont subventionnés (coût de cession aux entreprises de transformation 17 et 30 DA, équivalent le litre de lait, qui est très loin de celui affiché à l'international autour de 50 DA). Alors que la subvention est accordée pour le lait liquide en sachet d'un litre destinée à la consommation domestique, mais elle est déviée et profite davantage aux produits laitiers dont la valorisation est très rentable : un litre de lait donne huit pots de yaourt (soit 80 à 100 DA équivalent litre de lait). Tout ceci a amorti le choc de la crise mondiale. Pour ce qui est de cette nouvelle crise mondiale, elle était prévisible depuis un bon bout de temps ailleurs, mais tardive en Algérie alors que le MADR s'est doté d'un observatoire des produits agroalimentaires. -Comment expliquez-vous la hausse des prix du lait non subventionné ? Pour revenir à la flambée du prix du lait (non subventionné) et de ses dérivés, elle peut s'expliquer par des facteurs endogènes liés à la dépréciation du dinar et des facteurs exogènes en raison d'une hausse sensible du coût des matières premières à l'échelle internationale. Il y a d'abord la baisse de la production : depuis début 2013, la production laitière est orientée à la baisse dans toutes les grandes zones exportatrices de produits laitiers dans le monde, en Nouvelle-Zélande du fait d'une sécheresse historique, dans l'Union européenne à cause d'un retard d'un mois dans l'arrivée du printemps, aux Etats-Unis où la sécheresse continue de sévir dans les Etats du sud et de l'ouest. La sécheresse fait également s'effondrer la production en Australie et l'humidité excessive et la concurrence des cultures de soja font de même en Argentine. Il y a aussi la demande de produits laitiers sur les marchés internationaux qui ne cesse de progresser, la Chine augmente ses importations de poudre de lait entier de 28% en 2013 par rapport à 2012 ; la Russie progresse de 41% pour la poudre de lait écrémé et de 31% pour le beurre. Pour les fromages, les importations russes augmentent de 7%, celles du Japon de 4% et celles du Mexique de 14%. Les grands pays producteurs de lait peinent à suivre la croissance de la demande et à reconstituer leurs stocks. Contrairement à beaucoup d'autres matières premières agricoles (céréales, soja, café, huiles) dont les cours ont baissé en 2013, les cours mondiaux des produits laitiers ne cessent de progresser : + 23% pour le beurre, + 36% pour la poudre de lait écrémé, + 47% pour la poudre de lait entier, + 14% pour le fromage cheddar (variations sur un an à fin novembre - source USDA). -Quelles sont les prévisions pour 2014 ? Pour 2014, tous les indicateurs avancés sur les marchés indiquent qu'un nouveau record de prix du lait sera battu. Les cours des produits laitiers continuent de progresser ; les prix du lait payés en fin d'année montent à des niveaux record et la production laitière mondiale n'augmente pas suffisamment pour reconstituer un niveau minimal de stocks. L'année 2013 a une nouvelle fois mis en lumière l'extrême sensibilité des marchés des produits laitiers à de faibles variations de l'offre face à une demande plutôt rigide dans les pays industrialisés et à une demande dynamique dans les pays émergents, en premier lieu en Chine et l'Algérie. Le probable rebond de la production peut engendrer un nouveau cycle : excès d'offre, chute des cours, puis baisse du prix du lait. La volatilité, désormais chronique, des marchés agricoles montre les limites du seul ajustement par les prix de l'offre à la demande dans le cas du lait : produit fragile, pondéreux et, qui plus est, à cycle de production long. Ce nouvel aléa est indéniablement problématique pour les opérateurs, éleveurs comme transformateurs, qui doivent bénéficier d'un minimum de lisibilité et de stabilité pour investir. Ils vont devoir, chacun à leur niveau et ensemble, prendre des dispositions pour en limiter les effets, à défaut de pouvoir agir sur les causes connues chez nous en investissant à l'amont en développant et réhabilitant les bassins laitiers avec de véritables exploitations d'élevage de taille critique en évoluant en de véritables complexes laitiers où le mot d'ordre est la compétitivité.