Invité de Thierry Ardisson sur France 2, le journaliste français Renaud Revel a longuement évoqué le phénomène de la presse dite people et le livre qu'il lui a consacré. Il n'est pas le premier à s'y intéresser, car d'autres ouvrages s'attachent à ce thème et pas seulement en France. Revel s'intéresse aux figures emblématiques de cette industrie rentable car la presse people, tous titres confondus, tire à des millions d'exemplaires. Elle est prospère au moment où le métier de journaliste est l'un des plus difficiles à exercer. Le succès de la presse people est bâti sur le scandale,l 'immixtion dans la vie privée et une quasi-sacralisation du déballage selon la formule de Revel. Le postulat de base est que les personnalités publiques ne peuvent pas avoir des secrets pour les lecteurs de cette presse people qui ne recule devant aucun excès pour mettre sur le marché des informations croustillantes. Cette presse cible prioritairement les têtes d'affiche de la scène artistique, fait ses choux gras des mariages des uns, des divorces des autres et ce sont souvent les mêmes. Leurs turpitudes se vendent au diapason de tirages exponentiels et suscitent une technique assimilable à celle de la battue. Le sujet choisi se trouve pris en surveillance, épié, traqué, étalé au grand jour. La presse people n'aurait pas connu cette fortune si, d'une certaine manière, elle ne s'appuyait pas sur des complicités avérées, à commencer par celles de ses réputées victimes. Une personnalité traînée dans la boue monnaye ses déboires. Les photos compromettantes, les révélations croustillantes se négocient dans les plus infimes détails. Il y a même parfois de l'entente illicite dans l'air, car certains titres s'octroient l'exclusivité de la cabale et dament le pion aux concurrents qui, pour leur part, s'arrangeront pour leur rendre la monnaie de la pièce. C'est une guerre sans merci que se livrent les fleurons de la presse people. Mais c'est une guerre où il n'y a ni vainqueur ni vaincu, car chacun y trouve son compte. Les belligérants ont mis en œuvre des règles de conduite sur lesquelles se fonde un consensus. Celui de ne jamais attaquer un homme politique, d'autant moins s'il est dans l'exercice de ses fonctions. En fait, ce sont des personnalités politiques qui cherchent à capter les supports de la presse people. Un candidat à l'élection présidentielle française de 2007 n'a pas hésité à y annoncer les grandes lignes de son programme. A bien des égards, la presse people est l'héritière de la presse du cœur qui avait eu son heure de gloire avec des enseignes comme France-Dimanche ou Nous Deux. Avec cette nuance près que la presse people a adapté sa stratégie aux mutations des mœurs. Elle ponctue un libéralisme débridé et ambitionne même de se constituer en modèle. La presse people est le reflet d'un délitement qui a atteint tous les paliers de la société et se traduit par le brouillage des référents. La notoriété d'un artiste s'acquiert au bout d'un seul passage à la télévision alors qu'il avait fallu à des symboles tels que Georges Brassens ou Jacques Brel des années d'acharnement pour s'imposer. Etre vu dans Star Academy suffit à asseoir une réputation. Ce nivellement par le bas ne touche pas que la chanson, il est extensible à d'autres domaines. La réussite pour un écrivain tient à une apparition bien managée sur un plateau de télévision. Tout comme il y a de vrais faux chanteurs, il y a un contraste entre une presse occupée de sa survie économique, exposée aux aléas du secret et une autre s'installe triomphalement sur le marché. Elle se positionne comme alternative. Elle ne pourrait évidemment pas le faire si elle n'était pas forte d'un large public, douze millions de lecteurs chaque semaine selon certaines sources. Comme beaucoup d'autres alors, le livre de Renaud Revel ouvre sur un questionnement : les temps présents sont-ils ceux de la faillite du savoir ? Exalter des vertus essentielles, comme celle du travail, par exemple, ne fait plus recette. Cela explique la poussée vertigineuse d'une culture de l'ersatz dans laquelle l'apparence prime sur l'essence. C'est la culture du clinquant, du faux-semblant, de l'artifice. Cela est vrai pour la presse people, cela l'est aussi pour la cuisine, la musique ou la littérature. Sans doute est-ce l'un des effets le plus évidents de la globalisation qui est à bien des égards synonyme de régression.