Le sport roi, le football, a une fois de plus démontré à l'occasion de la Coupe du monde que c'est une immense industrie qui fait le bonheur des richissimes hommes d'affaires et des hommes politiques en mal de popularité ou de légitimité. Les téléspectateurs du Sud viennent de l'apprendre encore une fois à leurs dépens avec la polémique sur le monopole exercé sur les droits de retransmission des matchs de la Coupe du monde par le groupe de l'audiovisuel arabe Art. Le détenteur des droits de diffusion, cheikh Salah Abdellah, patron de la chaîne arabe, s'est révélé finalement, à l'occasion de cet événement sportif planétaire, aussi puissant sinon plus puissant encore que des Etats souverains qui n'ont eu d'autre choix que de capituler devant le bras de fer ayant opposé leurs télévisions nationales, à l'image de l'Entv, à ce magnat de l'audiovisuel insoupçonné jusqu'ici qui a raflé la mise pour cette Coupe du monde et les deux prochaines autres. On peut tout reprocher à l'homme d'affaires saoudien sauf de douter de son patriotisme puisqu'il a consenti un geste hautement symbolique pour ses compatriotes en diffusant gratuitement sur le réseau hertzien les matchs de la Coupe du monde et de mal gérer son porte-monnaie. La réciproque n‘est pas toujours vraie. Les autorités algériennes en charge de ce dossier qui est par essence un dossier commercial ont-elles géré avec la même efficacité, compétence et professionnalisme dans les négociations la retransmission des matchs de la Coupe du monde ? En prenant tout simplement conscience que le monde des affaires est impitoyable et qu'il n'y avait rien à attendre même d'un partenaire censé mieux comprendre nos préoccupations, donc supposé apte à des élans de cœur et de générosité envers des peuples supposés vibrer avec la même fibre civilisationnelle. Ce malheureux épisode qui a poussé les plus hautes autorités algériennes à agir dans la précipitation en mettant à la disposition des amateurs de la balle ronde la veille du début des compétitions des cartes subventionnées pour leur permettre de suivre cet événement footballistique mondial a démontré, pour ceux qui en doutaient encore, que les puissances de l'argent n'ont pas de nationalité et prennent de plus en plus d'autonomie par rapport à leurs gouvernements. Nombreux étaient en effet les férus de la balle ronde en Algérie à avoir parié devant la tournure négative que prenaient les négociations entre l'Entv et la direction d'Art sur un retournement de situation. On avait misé sur un geste politique de l'Etat saoudien qui ne refuserait jamais, avait-on pensé naïvement, de voler au secours de leur ami Bouteflika en intervenant auprès de la chaîne Art pour obtenir des facilitations au profit de la télévision algérienne pour lui permettre d'être présente à ce rendez-vous sportif mondial. Peine perdue. Non seulement le levier politique si tant est qu'il ait été actionné n'a visiblement pas fonctionné et s'est brisé contre les lois implacables de l'argent, mais on a voulu transformer un échec cuisant de la fraternité arabe tant déclamée dans les discours officiels en une victoire des forces du bien sur les forces du mal. On a cherché à sauver l'honneur de l'Etat algérien bafoué par ce scandale en mettant à la disposition des téléspectateurs algériens des artes sésames d'Art sur intervention personnelle et express du président Bouteflika. La démarche fait penser à un joueur qui inscrit un but de la main. Il n'est pas certain que le préjudice moral et politique généré par ce scandale ait été réparé par ce geste de dernière minute qui revêt manifestement une forte connotation politique. Bouteflika tente à travers cette initiative de retirer des dividendes politiques, mais la crédibilité de l'Etat reste sérieusement entachée par cette épreuve qui confirme que les affaires de l'Etat sont gérées avec improvisation et un romantisme politique qui n'est plus de mise aujourd'hui dans les relations internationales.