Les Algériens n'auront que leurs yeux pour pleurer le Mondial. Les Algériens sans la Coupe du monde. Difficile à imaginer quand on connaît l'attachement de nos concitoyens à ce jeu magique et populaire. Mais le verdict est là. Impitoyable. Le ciel sera fermé du 9 juin au 9 juillet et le téléspectateur n'aura qu'à ranger son «assiette» au placard. Le démodulateur numérique ne lui sera d'aucune utilité. Le richissime homme d'affaires saoudien, cheikh Salah, a racheté les droits de retransmission des matchs de la Coupe du monde 2006 qui aura lieu en Allemagne pour les pays arabes du Maghreb et de l'Orient. Le foot, c'est de l'argent et la FIFA l'a compris depuis longtemps. Elevée au rang de puissante multinationale brassant des milliards de dollars, l'institution que préside Sepp Blater fait peu de cas des souffrances qu'auront à subir les peuples férus du jeu à onze. La passion a son prix fort. Déjà déçus par l'énième absence de l'équipe nationale à la fête mondiale du sport roi, les Algériens seront privés des images des prouesses de Zidane, Ronaldhinho, Raoul, Ronaldo et autres étoiles du football qui illuminent le quotidien morose des petites gens de la planète. Le football, phénomène social ou opium des peuples, chacun y va de sa propre vision, est un refuge des citoyens mis à mal par un quotidien difficile et une misère culturelle. Plus particulièrement cette jeunesse qui tourne en rond au fin fond de l'Algérie profonde. De son village perché dans les montagnes du Djurdjura au douar des Hauts Plateaux, en passant par les oasis les plus reculées du Sahara et contrées lointaines à la lisière des vastes frontières du pays, l'Algérien subira la même sentence: pas de Mondial sauf pour ceux qui auront le courage et le pouvoir de débourser quelque neuf mille dinars pour avoir le sésame. Cette fameuse carte ARTE. Pour certains, c'est l'équivalent d'un salaire de tout un mois de dur labeur. Pas moins. L'Entv ne sera cette fois d'aucun secours. Même si cette institution étatique stratégique est réputée pour crouler sous un budget digne d'un ministère. L'«Unique» préfère les grands galas qu'elle excelle à mettre sur pied et à financer en invitant les grandes vedettes de l'Orient. Les Algériens, les jeunes particulièrement, sont donc appelés à la résignation. Eux qui n'ont jamais raté un tel événement depuis la consécration du Brésil de Revilino au Mexique en 1970. Ils n'auront pas l'occasion d'oublier, un tant soit peu, les vicissitudes d'un quotidien dur à supporter. La chaleur du mois de juin brûlera les quelques espoirs d'évasion espérée le temps d'un match de football digne de ce nom. Aussi une occasion de ratée pour vivre au diapason d'un événement sportif majeur. De se sentir partie concernée de cette actualité mondiale sans tenter une escapade au prix de sa vie dans un container en partance vers l'autre rive. L'embellie financière de 2006, sujet de tous les débats, et le retour à la vie normale par la grâce de la politique de la réconciliation nationale prônée par Bouteflika n'ont pas épargné les Algériens contre les risques de vivre mal cette séparation d'une fête de famille. Ils n'auront que leurs yeux pour pleurer. Un mois durant. Faute d'être riches bien sûr. Pour un pays de jeunes richement nanti et qui ne peut pas se permettre des images d'un match de football... Les décideurs ont peut-être d'autres chats à fouetter.