L'effondrement d'un immeuble à Bab El Oued, la semaine dernière, a relancé un épineux dossier : celui des IMR, immeubles menaçant ruine. Ils sont plus de 30 dans le quartier et plus de 400 familles y logent. Un défi contre la mort au quotidien. Dans un vieux bâtiment au 14, rue des frères Achache, à Bab El Oued, il n'est plus possible pour les vingt familles locataires de continuer à habiter dans cette vieille carcasse qui date de plus d'une centaine d'années. Rien que l'entrée déjà donne froid dans le dos. Passer une nuit de plus à l'intérieur est un réel danger. Plafond rongé et sol cabossé, bâtisse tombant en ruine, comme si le poids des années était trop lourd à porter. Jeudi dernier, le quartier a frôlé un drame humanitaire : les murs des quatrième et cinquième étages de ce bâtiment se sont subitement fissurés, entraînant l'effondrement des escaliers. Le sol de la maisonnette sur la terrasse, habitée par une famille de cinq personnes, s'est écroulé, faisant plusieurs blessés. Au total, cinq familles se sont retrouvées à la rue, elles ont été hébergées de manière provisoire dans le cinéma Tamghout (ex-Plazza). Leur relogement n'est toujours pas programmé. Mais le dossier n'est pas nouveau : 425 familles de ce quartier surpeuplé de la capitale vivent depuis dix ans un cauchemar, fait d'attente inespérée et de peur quotidienne. Les familles qui habitent ces 37 bâtiments, connus sous le nom d'«IMR, immeubles menaçant ruine», alertent les responsables en criant leur ras-le-bol. «Nous avons failli mourir, s'emporte Youcef Harir, 43 ans, père de trois enfants, que nous avons rencontré à l'intérieur du cinéma Tamghout. A 5h45, nous avons commencé à sentir les secousses autour de nous. Nous avons quitté précipitamment le bâtiment et nous avons laissé toutes nos affaires là-bas. Aujourd'hui, nous avons peur d'y retourner.» Abandonnés Ces familles avouent qu'elles n'ont pas été aidées et dénoncent le manque de prise en charge par les autorités de la wilaya d'Alger. «C'est grâce au président de l'Assemblée populaire de notre commune que nous avons pu être casés ici. C'est un crime que de nous laisser dans ces conditions. Après le drame, nous avons sollicité la bibliothèque appartenant à la direction de la culture, qui nous a été refusée par son responsable. Il nous a dit qu'il la préparait pour un projet. C'est un mensonge, car elle est fermée depuis sept ans», ajoute Slimane Boumerrah, 33 ans, rescapé lui aussi avec sa famille et père de deux enfants. Des propos confirmés par le responsable du cinéma. «Personne n'est venu pour les secourir ou leur rendre visite à part le P/APC de Bab El Oued. Ils n'ont même pas osé leur offrir une bouteille d'eau», confie-t-il. Ici, seule la coordination des IMR, créée en décembre 2011 est en charge de ce dossier, composée de personnes concernées directement par ce problème de logements précaires, celle-ci livre un combat au quotidien pour parvenir à une solution. Le relogement relève des prérogatives de la wilaya. Jusqu'à aujourd'hui, le dossier des IMR est toujours en suspens. «Je lance un message au Premier ministre et je sais de quoi je parle, car la situation est devenue insupportable ici. Nous ne pouvons plus désormais faire patienter les citoyens. Sauvez-nous monsieur le Premier ministre avant que ce ne soit trop tard ! S'il nous arrive malheur, ça sera une catastrophe à Bab El Oued, car les habitant sont déterminés à aller plus loin s'il le faut. Je suis natif de ce quartier et je sais bien ce qui se prépare ici», prévient Kamel Aoufi, président de la coordination des IMR. Danger Fatigué de la lourdeur du dossier et de la lenteur de la procédure, Kamel Aoufi, les yeux cernés, confie craindre la dépression. «Je reçois des pressions de tous les côtés. Que ce soit de la part des citoyens ou des autorités. Je ne dors pas à l'idée d'imaginer que des être humains risquent la mort à tout moment. Pourtant, ça fait des années que nous avons déposé nos dossiers à la wilaya. Nous sommes vraiment fatigués. Nous continuons à entendre les mêmes explications et à recevoir les mêmes excuses. Bab El Oued pourrait à nouveau connaître des émeutes», ajoute Kamel Aoufi. Des propos confirmés par le président de l'APC de Bab El Oued, Atmane Sehbane, jeune pilote d'avion, rencontré dans un marché de la ville en compagnie de jeunes du quartier. «Le dossier des 37 bâtiments est complet. Il a été déposé à l'APC, puis nous l'avons transféré à la daïra. Aujourd'hui, nous n'attendons que la réponse de l'Etat afin de pouvoir reloger enfin ces familles en danger tant qu'elles sont dans ces bâtiments à haut risque», déclare M. Sehbane. Relogement Pour Kamel Harir, ancien marin et propriétaire de la maisonnette de la terrasse dont le sol s'est effondré, la vie est amère. Agé de 53 ans, père de 3 filles, dont l'aînée a bouclé récemment ses 18 ans, il avoue ne plus dormir, car son plus grand souci est de voir un jour ses filles en sécurité sous un vrai toit. «J'ai fait le tour du monde et j'ai vu de toutes les races et les couleurs. J'ai été radié de mon travail parce que j'ai refusé de me salir les mains. Je suis resté pauvre et voilà comment je finis. Je demande un toit et rien d'autre. Il est de mon devoir de père de préserver la dignité de ma famille et je ne pense qu'à réussir cette mission.» Une vieille femme solitaire et aveugle demeure toujours à l'intérieur de ce bâtiment à moitié démoli. Elle n'a pas de famille et n'a pas où aller non plus. Nous avons adressé une demande auprès de la wilaya, restée, comme d'habitude, sans suite. Les habitants, eux, attendent toujours un logement.