Ala détresse sociale, on répond par le bâton, et du droit de grève il ne reste que le mot. La situation attire l'attention de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), qui l'a vivement dénoncée dans une conférence de presse animée hier à Alger. Maître Hocine Zehouane, président de cette ONG nationale, a attesté « la violation des droits de l'homme ». « Le droit de grève est un droit social et constitutionnel énoncé et stipulé dans le texte fondamental de la République. Il est aussi un droit universel régi par les conventions internationales que l'Algérie a ratifiées. Avec ces pratiques, les responsables de tutelles sont en train de tout remettre en cause. C'est extrêmement grave », a-t-il tonné. Mais pour lui, le plus dramatique reste « l'instrumentalisation de la magistrature » de telle sorte que l'on « brise » les mouvements de grève et que l'on « terrorise » les cadres syndicaux. Dans une déclaration rendue publique dans la même journée, la LADDH a relevé les dépassements opérés, ces dernières semaines, à l'encontre d'enseignants du secondaire et de professeurs universitaires. Maître Zehouane a parlé de 11 enseignants qui ont été « abusivement » mis sous contrôle judiciaire. Sans citer le cas d'autres qui ont été poursuivis en justice pour s'être impliqués dans les mouvements de grève des syndicats autonomes. Maître Zehouane explique que le contrôle judiciaire est une mesure qui peut être prise uniquement « dans le cas où les intéressés ne présentent pas de garanties, comme par exemple les délinquants ». Or ce n'est pas le cas. Selon lui, les autorités ont agi sans le moindre respect de la loi. La ligue trouve que « les dernières arrestations de professeurs d'université à Sidi Bel Abbès, Alger, Bab Ezzouar et Constantine et leur inculpation pour des délits inconsistants et juridiquement infondés attestent du degré de soumission des juges du siège à l'Exécutif et autorise contre eux le grief de suspicion légitime ». Maître Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la ligue, n'a pas hésité à accabler « la police politique », laquelle, pour lui, contrôle toujours toutes les cours de justice. Devant un tel constat, la ligue demande « la levée immédiate » du contrôle judiciaire et « l'extinction des poursuites judiciaires » contre ces enseignants et syndicalistes. Les animateurs de la conférence de presse ont également dénoncé le « recours abusif » au référé pour interdire des mouvements de grève somme toute légitimes. Revenant sur le refus des autorités d'agréer les syndicats autonomes, M. Ali Yahia estime que là aussi, la loi a été transgressée. Alors que c'est clairement stipulé dans la loi. Le seul syndicat reconnu par les autorités demeure l'UGTA. Celui-ci ne fait pas dans la protestation, mais plutôt dans « le dialogue ». Mise en garde Cela pousse M. Ali Yahia à se demander : est-ce que les représentants de la centrale syndicale sont réellement des syndicalistes ou des cadres de la nation ? La réponse pour lui est claire : « L'UGTA n'est pas un syndicat de protestation, mais plutôt de concertation. » Les responsables de la LADDH font un lien direct entre le rétrécissement du champ des libertés individuelles et collectives et l'état d'urgence qui est maintenu depuis 14 ans. Ainsi, pour M. Ali Yahia, l'ouverture du champ politique et médiatique ainsi que le respect des droits de chacun dépendent de la levée de cet état d'urgence. Tout en considérant que « l'émergence des syndicats autonomes devant une centrale détournée de sa vocation historique de défense et d'encadrement du monde du travail constitue une nouvelle espérance pour le pays », la LADDH rappelle aux pouvoirs publics « l'obligation de négocier effectivement, diligemment et avec obligation de résultat ». Elle met ainsi en garde les autorités concernées contre « les pratiques dilatoires » qui font traîner en longueur la recherche de solutions sérieuses, lesquelles pratiques, précise-t-on dans la déclaration, sont « délictueuses et attentatoires aux droits sociaux ». Afin de mettre un terme à de tels dépassements, la LADDH appelle les « magistrats indépendants » pour qu'ils récusent les pressions de l'Exécutif et désapprouvent « toutes les mesures scélérates ». La ligue compte également saisir les instances nationales et internationales sur à la fois ces violations des droits de l'homme, mais aussi et surtout l'ordonnance portant application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Maître Zehouane a souligné au passage que la LADDH n'a reçu aucune réponse de la part des présidents des deux Chambres du Parlement, interpellés pour qu'ils usent de leurs droits constitutionnels et saisissent, de leur côté, le Conseil constitutionnel sur justement les contradictions avérées entre les dispositions de la charte et la Constitution. Evoquant la révision de la Constitution pour laquelle milite le FLN, les animateurs de la ligue estiment que cette révision telle que conçue ne sert que les « intérêts personnels de ceux qui détiennent le pouvoir ». Même s'il admet qu'il y a nécessité d'aller vers « une refondation constitutionnelle », M. Zehouane trouve qu'il n'y a actuellement aucune garantie que la révision de la Constitution se fera selon la volonté du peuple. M. Ali Yahia ne doute pas que derrière l'initiative du FLN, il y a le président Bouteflika. Revenant sur la question de l'extradition d'Algériens établis en Grande-Bretagne vers l'Algérie, M. Zehouane estime que, même traité il y a, le problème n'est pas réglé. Car ce genre de procédures sont décidées par les autorités judiciaires indépendamment de la volonté politique des deux pays. Selon lui, étant donné que la Grande-Bretagne fait partie de l'espace européen commun, il est quasiment impossible d'espérer une telle chose. « L'Union européenne n'extrade pas vers des pays où la peine de mort et la torture existent encore », indique-t-il, ajoutant dans la foulée que la Fédération internationale des droits de l'homme effectuera bientôt une mission de prospection en Algérie sur la question de l'abolition de la peine de mort.