Décidément, le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH) Hocine Zehouane est un véritable iconoclaste. À contresens de l'idée reçue qui fait du soulèvement d'Octobre 88 l'acte fondateur de la démocratie algérienne, le défenseur des droits de l'Homme trouve ce soulèvement-là ambigu et dit ne pas avoir eu foi dans le processus démocratique engagé par les dirigeants de l'époque. “Il faut sortir de la tendance à magnifier des événements pour leur donner une illusion de grandeur”, assène-t-il lors d'une conférence de presse animée hier au siège de son organisation à Alger. Et d'enfoncer le clou : “La situation d'octobre est très ambiguë. L'explosion de la jeunesse était chargée de virtualités. À aucun moment les manifestants d'Octobre 88 n'ont appelé à la démocratie. Les deux seuls mots d'ordre clamés par la foule sont : “Chadli assassin” et “Messaâdia serak el malia.” L'illusion démocratique est venue après.” “Je n'ai pas cru à ce processus démocratique”, s'est confié Me Zehouane. Son pessimisme est motivé par trois raisons : primo, l'absence d'agent social capable de porter un tel processus. Deuzio, la montée de puissances économiques qui sont celles de la spéculation et de l'accaparement du capital national et l'inexistence de facteurs objectifs (agent social et catégories sociales). Cette appréciation quelque peu dépréciative des événements d'Octobre 88 n'a pas empêché M. Zehouane de faire sienne la lecture qui en a été faite par le sociologue Mohammed Boukhabza en présentant ces événements comme “une rupture avec les système qui prévalait à l'époque”. La cause de ce soulèvement populaire ? “L'inadéquation du système de gouvernance avec les réalités sociales de notre pays”, estime Me Zehouane. Les leçons de ces sanglants événements ont-elles été tirées ? Non, répond-il sans détour. “20 ans après, on retient la hantise de la réédition de tels événements”, redoute-t-il. “Dans une envolée polémique, l'actuel Chef du gouvernement A. Ouyahia avait récemment mis en cause des forces qui, à ses yeux, voudraient voir rééditer les événements du 5 Octobre 1988 à des fins d'exploitation politique. Une telle évocation sous forme de repoussoir et d'appréhension signifie que l'on n'effectue aucune lecture sérieuse et exhaustive de ces événements, et que le spectre de troubles massifs hante encore les esprits vingt ans après”, est-il souligné dans la déclaration préliminaire de la LADDH. À une question sur les risques d'une autre explosion sociale similaire à celle d'Octobre 88, Me Zehouane répond : “Je ne le souhaite pas à mon pays, l'Algérie n'a pas besoin d'un autre carnage. Il faut que les Algériens apprennent à lutter pacifiquement. Les soulèvements sont improductifs quand ils ne sont pas encadrés politiquement.” Mais il reconnaît que les ingrédients d'une déflagration sociale sont présents. “20 ans après, notre pays est toujours vulnérable. Tant que les équilibres sociaux ne sont pas rétablis, notre pays sera toujours en danger”, avertit-il. La solution ? La Laddh préconise trois axes de travail : l'Algérie doit d'abord réorienter ses énergies vers une économie autocentrée et mettre un terme au pillage de ses ressources par les opérateurs étrangers. Ensuite, il y a lieu de reconsidérer les équilibres sociaux comme “facteurs majeurs d'une stratégie de sécurisation et de développement de notre pays”. Enfin, sortir l'Algérie de “l'enfermement de la dynamique crisogène” et avoir l'audace d'aller vers “une refondation constitutionnelle qui, à l'avenir, permettra à notre société de se doter de mécanismes de régulation pacifique et dynamique de ses conflits”. Tout un programme, en somme. A. C.