L'Algérie traverse sûrement la plus grande turbulence de son histoire. On ne parle pas de crise économique, sociale, culturelle ou… tout simplement existentielle, non, on parle de crise politique qui peut faire sombrer l'Algérie dans le chaos, selon les politologues avertis. Au point de faire sortir Bouteflika de son mutisme pour déclarer que «les dépassements et l'acharnement ont pris une ampleur jamais connue depuis l'indépendance du pays...». Le premier magistrat le reconnaît, la proportion du danger est plus qu'inquiétante. L'heure est donc d'une gravité telle qu'il faille à tout prix trouver des solutions consensuelles pour éteindre le feu avant qu'il ne soit trop tard. Tous les antagonistes qui se sont mis en scène, souvent sans qu'on les y invite, ne pourront pas dire demain qu'ils ne savaient pas. Ils seront par conséquent comptables devant l'histoire et devant les dégâts qui découleront directement de leurs affrontements fratricides. Plus que politique, la crise est donc devenue au fil des jours un véritable champ de bataille pour la consolidation ou la reconquête du Pouvoir à travers l'enjeu de la prochaine élection présidentielle qui doit nous dire si l'Algérie continuera tranquillement sur le même système de gouvernance ou s'il y aura un changement orienté vers une alternance démocratique. La question centrale n'est en fait pas de savoir si le Président sortant est candidat ou pas, mais bien si le système qu'il a construit lui survivra. Les deux alternatives ont leurs adeptes qui font preuve d'une détermination à toute épreuve. Les défenseurs d'un quatrième mandat, à l'évidence, veulent que le régime boutéflikien perdure. Ils ont leurs raisons. Dont celle qui les prémunira demain d'une justice un peu trop soupçonneuse sur leur gestion. Les autres, ceux qui invitent le Président à se retirer dans la dignité après un règne sans partage de trois mandatures catastrophiques, ont aussi leurs motivations. Pour eux, c'est l'ère de l'incurie, de la corruption à grande échelle, de l'injustice, de la hogra pour reprendre l'expression populaire, qui doit cesser. Ils disent barakat ! Le mal est déjà assez profond pour l'agrandir encore davantage dans le seul but d'assouvir des ambitions qui n'ont rien à voir avec l'intérêt général. On remarquera que dans ce combat à distance auquel prennent part plus ceux qui sont à l'intérieur qu'à l'extérieur du système, c'est-à-dire les représentants de l'opposition démocratique, mais également d'anciens apparatchiks, et des ex-officiers de l'armée qui sont de plus en plus nombreux à intervenir dans la presse, l'expression populaire au sens noble du terme est magistralement absente, pour ne pas dire superbement ignorée. Pour le peuple, le premier concerné par la consultation électorale, puisque c'est lui qui s'exprimera devant l'urne, c'est comme si tout se déroule sur sa tête sans qu'il se sente concerné. On parle à sa place, on échafaude les plans de rechange en son nom, mais on ne lui donne pas la parole. Cette vision n'est pas nouvelle en Algérie. Tous les rendez-vous électoraux auxquels les citoyens ont été conviés ont connu cette empreinte qui semble inépuisable mais réadaptable aux situations. Les politiques — plutôt les politiciens — font leur cuisine et n'ont besoin que des ratios de voix de la masse pour parvenir à leurs fins. Votez braves gens et ne cherchez plus à comprendre, le slogan est partout pareil dans les sociétés antidémocratiques, et notre pays ne fait pas exception à la règle, loin s'en faut. C'est vrai que généralement c'est l'élite intellectuelle qui ouvre les perspectives, qui tire en quelque sorte les wagons, mais encore faut-il que les discours qui sortent des laboratoires aient une prise avec le réel. L'inconvénient, chez nous, c'est que non seulement les masses populaires ne se sentent pas impliquées dans le débat public, mais c'est cette élite intellectuelle elle-même, sur laquelle d'énormes espoirs de changement sont fondés, qui fait faux bond.Alors, sans élite bien pensante et engagée pour créer le changement, sans soutien populaire qui ne sert à l'occasion que d'appendice, que reste-il pour façonner l'avenir ? Il reste le clan de Bouteflika plus que jamais décidé à rester au pouvoir, le DRS qui devient une cible encombrante parce qu'il semble prendre conscience du chemin aventureux dans lequel pourrait nous mener un quatrième mandat, l'armée qui a conscience de son rôle d'arbitre mais qui a obligation de rester muette, les ex-officiers qui sortent de l'ombre pour tirer à vue sur les prédateurs du système,... et aussi les Saadani et tous les autres du même acabit qui sont instrumentalisés pour une mission impossible. C'est dans un contexte d'opacité totale que se profile l'élection du président de la République. Au lieu d'avoir aujourd'hui, à quelques encablures du jour J, tous les acteurs en place avec leurs projets de société entre les mains, d'assister à des débats contradictoires pour mieux s'imprégner de la crédibilité des uns et des autres, au lieu donc d'avoir en tant que citoyen les cartes essentielles pour pouvoir choisir en toute conscience et sérénité l'homme qui conviendra pour diriger le pays dans les cinq années à venir, on se surprend encore à deviner les intentions des différents animateurs, à lire entre les lignes leurs messages, à décoder leurs manœuvres, le tout dans un décor qui ne ressemble à rien. La lutte des clans est décidément la seule matrice qui remplit l'espace.