Les juges milanais ont décidé de prolonger de six mois leurs investigations concernant l'affaire Saipem-Sonatrach. La justice veut établir clairement la responsabilité du patron d'ENI (Ente Nazionale Idrocarburi) dans cette grande opération de corruption internationale. Rome. De notre correspondante L'ancien manager de Saipem, Pietro Varone, le seul qui a été incarcéré, dans cette affaire, n'a pas fini de vider son sac. Après quatre mois de prison, il se trouve assigné à résidence depuis le 2 décembre dernier. Lâché par ses supérieurs, qui ont tenté, selon lui, de lui faire «porter le chapeau», Pietro Varone ne compte pas endosser le rôle du bouc émissaire. Il a affirmé, aux magistrats qui l'ont récemment interrogé, être certain que Paolo Scaroni, administrateur délégué d'ENI «était au courant de toutes les étapes» de cette méga-corruption et d'avoir rencontré, secrètement, au moins deux fois, à Paris et à Milan, l'intermédiaire algérien Farid Bedjaoui, que Chakib Khelil, ancien ministre de l'Energie, lui avait présenté comme étant «l'un de mes hommes de confiance». Varone, qui a passé 26 ans aux postes de décision de Saipem, explique aux enquêteurs que même si le groupe était, de par son statut, une entreprise autonome, rien ne s'y décidait si les dirigeants d'ENI ne donnaient pas leur aval. Selon lui, une fois le scandale éclaté, le patron d'ENI aurait instruit ses hommes pour «sacrifier» Varone en le chargeant de toute la responsabilité dans la distribution des 198 millions de dollars aux intermédiaires algériens. Les juges insistent pour savoir qui a fixé la commission de 41 millions de dollars, versés aux Algériens, pour permettre aux Italiens de relever le contrat d'exploitation du gisement de Menzel Ledjmet Est, qui était alors géré par le groupe canadien First Calgary. L'informateur, interrogé de nouveau le 27 novembre dernier, assure aux magistrats que ce pot-de-vin de 41 millions avait été concordé entre Scaroni, Khelil et Bedjaoui. Ces indiscrétions, publiées par le quotidien Il Fatto quotidiano, ont fait sortir les responsables d'ENI de leur réserve. Le 13 février, le groupe italien a rendu public un communiqué dans lequel il est réitéré que «Scaroni n'a rien à voir avec cette affaire». Le groupe annonce que ce dernier répondra à ces attaques «dans les salles d'audience». En attendant et dans un entretien accordé au quotidien économique français Les Echos, Scaroni s'en prend à la stratégie énergétique européenne et critique ses dirigeants, surtout le président français, François Hollande, qu'il accuse de retarder l'exploitation du gaz de schiste par purs préjugés. Le patron d'ENI fait, toutefois, la promotion du gaz russe, bon marché, selon lui, expliquant qu'avec des négociations éclairées, l'Europe pourrait importer pour 10 dollars le BTU (British Thermal Units). Scaroni défend le gouvernement de Moscou et appelle à traiter ce pays «comme un partenaire et éviter de lui donner des leçons». Il se réjouit de la reprise de la production d'hydrocarbures en Libye, dont la cadence aurait atteint 75% de sa capacité totale, et se dit satisfait des explorations en Ukraine, alors qu'il annonce que son groupe a abandonné la filière polonaise à cause du peu de gaz présent dans des roches difficiles d'accès. Pas un mot sur l'Algérie ou Sonatrach. Sujet brûlant pour l'homme de Berlusconi, qui s'apprête, après une décennie de règne, à voir son mandat reconfirmé à la tête d'ENI.