Périlleuse impasse. Au terme de quinze ans de règne de Abdelaziz Bouteflika, l'Algérie a atteint des niveaux de régression inquiétants. Un règne qui a fini par achever le plus irréductible des espoirs. Le pays avance à pas sûrs vers l'effondrement généralisé. Des personnalités nationales, pourtant connues pour leur pondération, n'hésitent plus à qualifier la situation dans laquelle se trouve le pays de «négation de la République» et d'«Etat hors normes». Mouloud Hamrouche, avec un grand sens de la responsabilité, met en garde contre les conséquences désastreuses d'une crise qui mine le sérail. Les divergences au sein du régime algérien, violemment exacerbées et débordant les travées du pouvoir, sont les signes d'une impotence qui frappe le système politique. Alors que les acteurs politiques les plus sérieux font un constat de blocage historique, ces derniers assurent sereinement que les éléments d'une crise structurelle sont internes. Ils sont inhérents à la nature même du système. Abdelaziz Bouteflika, lui, persiste dans le déni. Une fuite en avant. Dans son message présidentiel, Bouteflika impute les facteurs de la crise à une sordide conspiration venue d'ailleurs et qui viserait la déstabilisation de l'Etat et de ses institutions. Au lieu d'y faire face et d'apporter des réponses justes à une situation de crise annonçant le pire, le Président agite le classique chiffon rouge de «la menace extérieure». Le recours permanent au chantage de l'instabilité et de la peur est la démonstration éclatante de l'incapacité du régime à affronter cette situation. Une société muselée Bouteflika somme les Algériens de se taire, de ne pas débattre des enjeux que soulève une élection présidentielle déterminante pour l'avenir et surtout de ne pas demander des comptes. Fidèle à la logique bonapartiste, le Président sortant cherche une fois de plus à procéder au musellement de la société. En interdisant aux Algériens de faire de la politique, de forger, dans la liberté, une conscience capable de relever les défis qui se posent à l'Algérie, le régime de Bouteflika a condamné le pays au délitement. Aux réformes démocratiques, Abdelaziz Bouteflika a fait le choix malheureux de l'autoritarisme. Après trois mandats successifs à la tête de l'Etat, peut-il se placer au-dessus de la mêlée ? Sa responsabilité politique est totale dans les maux qui paralysent le pays. C'est lui qui a présidé à la caporalisation des partis politiques et de la société civile. Le peu de crédit qui restait aux institutions de l'Etat a été laminé sous son règne. Une justice subordonnée, une administration instrumentalisée et des institutions «élues» domestiquées sont le marqueur de ses trois quinquennats. Au plan économique, les passe-droits, l'informel et la prévarication le disputent dangereusement à la bonne gouvernance. Une corruption à l'échelle industrielle s'est installée au cœur du pouvoir. Une caste d'affairistes a prospéré à l'ombre des années Bouteflika, faisant impunément main basse sur des secteurs névralgiques aux budgets colossaux, tels que les travaux publics et l'énergie. «L'Algérie, depuis l'indépendance, n'a jamais connu de conditions aussi favorables pour son développement qu'au cours des quinze dernières années, sa régression politique, économique, culturelle et éthique n'aura malheureusement jamais été aussi grande qu'au cours de cette même période. Cette déchéance est l'œuvre de la coterie au pouvoir qui pousse maintenant l'arrogance jusqu'à vouloir imposer un quatrième mandat dans un climat délétère», constatent Ahmed Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdennour et Rachid Benyelles dans un manifeste s'opposant à un quatrième mandat. Un pays pris en otage Au plan diplomatique, l'échec a été retentissant. Pays pourtant stratégique dans la région, l'Algérie n'a pas pu peser dans les convulsions qui agitent le voisinage immédiat ; synonyme des limites de la «diplomatie» bouteflikienne. Le désastreux bilan politique d'un règne antidémocratique appelle des révisions déchirantes. Reconduire le statu quo à l'occasion de l'élection présidentielle du 17 avril, c'est faire le pas de trop vers le pire. Abdelaziz Bouteflika, 77 ans – très affaibli par la maladie – en refusant de dévoiler ses intentions à quelques jours seulement de la date butoir de la clôture du dépôt de candidatures prend en otage tout un pays. La ruse est dangereuse. Avril 2014 devrait être ce moment historique pour négocier le virage de la sortie du cycle autoritaire qui a coûté cher aux Algériens. Les alternatives existent. Elles s'expriment à travers des propositions diverses d'un processus de changement graduel et ordonné vers un Etat de liberté et de démocratie. Le quatrième mandat sera sans nul doute un facteur aggravant de la crise. Un glissement vers la dislocation.