“Ce n'est pas le peuple qui demande un quatrième mandat mais la clientèle. Comment peut-on subir les choses sans réagir ?" “Rentrez chez vous, M. Bouteflika, et laissez-nous à notre médiocrité !" Cette phrase de Sofiane Djilali, dite hier lors d'une conférence de presse à Alger, résume fort bien la volonté de bon nombre d'Algériens à en finir avec le règne déjà long de quatorze années d'Abdelaziz Bouteflika. Et pour éviter que l'actuel locataire d'El-Mouradia ne s'offre un quatrième mandat, le président de Jil Jadid ainsi que deux hommes politiques, Ahmed Bentitour (ancien Chef de gouvernement et candidat à la présidentielle d'avril 2014) et Mohamed Mechati (membre des 22 qui ont créé le Crua) ont lancé, hier, un appel pour “une alliance stratégique entre les forces du changement" pour faire capoter, entre autres, les projets de 4e mandat et de la révision constitutionnelle. Les raisons qui ont motivé cette sortie publique sont “la gravité de la situation qui est en voie de compromettre un principe fondamental de la Constitution de 1996, à savoir l'alternance au pouvoir, la paralysie et la dénaturation des institutions par l'autoritarisme et le pouvoir personnel, l'absence de solutions aux crises multiples que vit le pays, etc.". En tout cas, les trois premiers signataires de cet appel visent trois objectifs : mobiliser les citoyennes et citoyens inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants pour dire non à un quatrième mandat du chef de l'Etat en exercice, non à l'allongement du mandat actuel, non à la révision de la Constitution, non à la manipulation des résultats de l'élection présidentielle d'avril 2014. Ensuite, éviter et contrer dans la mesure du possible les dérapages prévisibles vers la violence, dans la situation actuelle de gestion irresponsable des affaires publiques. Et, enfin, définir “un code d'honneur" pour une élection présidentielle transparente et pour l'ancrage du pays dans un système démocratique au service exclusif du peuple. Il faut dire que la conférence de presse d'hier a été une belle réussite puisqu'elle a été marquée par une grande affluence. Et les deux orateurs, Mechati s'étant excusé de ne pas faire le déplacement, n'ont pas manqué cette occasion pour argumenter leurs positions. Pour l'ancien Chef de gouvernement, l'Algérie n'a d'autre choix pour s'éviter le scénario catastrophe d'un grand désordre que celui d'un changement pacifique mais radical. “Deux choix s'offrent aujourd'hui au pays : l'explosion inévitable si les choses restent en l'état ou le changement pacifique du système de gouvernance." Il va de soi que la deuxième perspective a les faveurs de Benbitour qui a appelé à faire une élection présidentielle d'avril 2014 “une opportunité pour le changement". Bien évidemment, il a revisité, à l'occasion, ses analyses de la situation du pays et remis sur la table ses “4 non" (non à un 4e mandat, non à la prolongation du mandat actuel, non à l'amendement de la Constitution sous l'égide du régime actuel et, enfin, non à la fraude des élections). L'ancien Chef de gouvernement et le président de Jil Jadid ne veulent en aucun cas entendre parler d'un quelconque prolongement du bail de Bouteflika. “Par notre démarche, on ne veut régler des comptes avec qui que ce soit, et ce n'est pas une position politicienne. Le pays risque de connaître de graves dangers si l'actuel président prolonge son règne", explique M. Djilali. “Au tout début de son premier mandat, il nous avait menacés de rentrer chez lui et de nous abandonner à notre médiocrité. Nous lui disons aujourd'hui : abandonnez-nous à notre médiocrité", a-t-il ajouté. Sofiane Djilali dit soupçonner l'existence d'un plan de communication en faveur d'un quatrième mandat. “En mai 2008, Bouteflika a soutenu publiquement que sa génération est finie. Mais depuis quelque temps, certains ministres et des membres de la clientèle de Bouteflika commencent à faire allusion à un quatrième mandat. Et, dernièrement, un conseiller anonyme à la présidence de la République a soutenu que le Président ne veut pas d'un quatrième mandat, qu'il est insatisfait de ses quatorze ans de règne et de ses ministres, mais si le peuple lui demande de rempiler, il va étudier la question", rappelle Sofiane Djilali, avant de poursuivre : “En 2013 et 2014, ils vont procéder à la distribution de logements et lors du match de Coupe entre le MCA et le CSC, une banderole appelant à un quatrième mandat est apparue. Nous sommes face à un plan de communication." “Ce n'est pas le peuple qui demande un quatrième mandat mais la clientèle. Comment peut-on subir les choses sans réagir ?" s'est-il interrogé. Pour lui, l'actuel chef de l'Etat ne remplit pas les critères (projet de société, bilan, moralité et aptitude physique) qui doivent se trouver chez un candidat à la présidentielle. Parlant du bilan de Bouteflika, le président de Jil jadid le juge désastreux. “Le bilan physique des quatorze ans de règne de Bouteflika est un désastre. Si ce n'est le pétrole, on serait aujourd'hui dans une situation lamentable, peut-être proche de la Somalie", a-t-il asséné. Pour illustrer son propos, il a cité le taux de croissance qui, depuis quatorze ans, a été “toujours faible" alors qu'un pays comme la Turquie affiche un taux de 12%. Autre exemple convoqué par Sofiane Djilali pour appuyer son réquisitoire : la dépendance quasi totale du pays aux hydrocarbures. “On dépend toujours des hydrocarbures et 75% du budget de fonctionnement sont financés par la fiscalité pétrolière. Ils ont surexploité le pétrole pour le convertir en billets. Ils ont massacré les ressources du pays", a-t-il vociféré. Evoquant le problème de l'incapacité physique du chef de l'Etat à gouverner, le président de Jil Jadid a assuré : “Bouteflika est tout le temps absent quand le pays en a vraiment besoin, comme c'était le cas lors de l'attaque de Tiguentourine." “En 2001, alors que des centaines de citoyens ont péri lors des inondations de Bab El-Oued, c'était Chirac qui avait rendu visite aux habitants de ce quartier", a-t-il rappelé. En outre, Sofiane Djilali et Ahmed Benbitour se sont dits opposés à une révision constitutionnelle qui permettrait à Bouteflika de faire des amendements “pour lui et non pas pour le peuple". “Il veut créer un poste de vice-président pour soi-disant éviter toute vacance du pouvoir. S'étant toujours trompé dans le choix des hommes, il veut plutôt donner les clés de la République à un Khelil bis. Un peu de retenue, s'il vous plaît, vous n'avez pas le droit de tuer le peuple sur l'autel de votre orgueil. Rentrez chez vous, les Algériens ne veulent pas vivre dans le passé mais s'occuper de leur avenir", assène M. Djilali. A C