Journaliste, opposant et fervent militant des droits humains, Ali Lmrabet, qui a fait de la prison à Rabat Salé pour ses écrits, est interdit d'écriture pour une période de dix ans dans son pays. Actuellement, il est journaliste à El Mundo, organe espagnol rédigé en castillan. Fidèle à ses principes inaliénables, il se livre ici, à partir de Barcelone, sans fioritures et avec un verbe éloquent. Aujourd'hui, vous serez à Alger pour recevoir le prix Benchicou de la plume libre. Une première impression... Le comité de soutien à Mohamed Benchicou m'a fait l'honneur de me décerner le prix de la Plume libre Mohamed Benchicou. Je suis vraiment honoré par cette distinction et content de revenir à Alger. Votre séjour à Alger pourrait être mal interprété par les autorités marocaines... Ces autorités n'arrêtent pas d'interpréter mes faits et gestes, c'est comme si elles étaient une école de fiqh, alors une interprétation de plus ou de moins... Franchement, il ne me manquerait plus maintenant que de devoir demander l'autorisation des autorités de mon pays pour voyager en Algérie. Je sais que certains le font et c'est regrettable. Il y a deux ans, je me suis fâché sérieusement avec un ami parce qu'il m'avait « conseillé » de ne pas me rendre en Algérie. Je ne supporte pas ce genre de frilosité. La presse algérienne m'a soutenu quand j'étais en prison et je ne l'oublie pas. Justement, la presse indépendante algérienne vous a toujours soutenu dans votre combat pour la liberté d'expression et le respect des droits humains et continue de le faire. Quel regard portez-vous sur cette presse et comment l'évaluez-vous ? Je crois que de l'avis de beaucoup de monde, la presse algérienne est l'une des plus libres du monde arabe. Elle a payé un lourd tribut en se maintenant ferme face au terrorisme islamiste et aux coups de boutoir du pouvoir. Je suis fier d'avoir obtenu un prix qui porte le nom d'un journaliste qui a préféré rester enfermé et malade dans une misérable cellule pénitentiaire que de demander la grâce au pouvoir en place. Chez nous, à la première alerte, certains responsables de journaux, au lieu de résister à la tempête, ou du moins de faire semblant, accourent chez le ministre délégué de l'Intérieur Fouad Ali El Hima ou chez un autre porte-manteau du roi pour montrer patte blanche. Si l'on se fiait au secrétaire général de Reporters sans frontières Robert Ménard, récemment en visite au Royaume, la liberté d'expression au Maroc a enregistré une grande avancée depuis l'intronisation de Mohammed VI... C'est l'avis de Robert Ménard que je respecte. Mais ce n'est pas mon avis, ni celui de beaucoup de journalistes indépendants marocains et de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme. Je crois que s'il y a eu « avancée », comme vous dites, elle a eu durant les dernières années de Hassan II quand le vieux dictateur s'était rendu compte qu'on ne pouvait pas asservir perpétuellement les Marocains. Mohammed VI a hérité de cette avancée, puis l'a réduite petit à petit. Il y a trois ans, le Maroc était le pays, après Cuba et la Chine, où il y avait le plus de journalistes en prison. Puis, mon pays est le seul d'Afrique et du monde arabe qui a interdit à un journaliste l'exercice de sa profession pendant dix ans pour avoir déclaré que les Sahraouis des camps de réfugiés de Tindouf sont des « réfugiés » comme le dit l'ONU et non des « séquestrés », comme le veut la propagande officielle marocaine. Quel rapport avez-vous avec le pouvoir chérifien ? Je n'en ai aucun. Je sais que souvent, surtout dans les Etats policiers comme les nôtres, certaines fréquentations sont nécessaires pour éviter des soubresauts ou des surprises, mais en ce qui me concerne, j'ai toujours préféré rester loin de ces conciliabules. La mission de journaliste n'est pas d'entretenir des relations amicales avec le pouvoir en place, il y a des intermédiaires pour cela, mais de traquer l'information, de la vérifier et de la servir à ses lecteurs. L'autre tâche du journaliste est d'expliciter et de prendre position sur certains grands thèmes de la vie de la nation. Apparemment, tout ce que vous entreprenez au Maroc est voué à l'échec, comme par exemple la création du journal Demain libéré, un projet mort-né... Si mes projets sont voués à l'échec, c'est parce qu'il y a certaines personnes dans l'entourage du roi qui me veulent du bien. Par exemple, je viens tout juste d'apprendre par des confrères espagnols que le chef des services secrets marocains à Paris, un certain Skalli, s'intéresse de près à moi et à ma famille. Ce monsieur se serait adjoint les services d'agents français, sûrement payés avec des séjours à l'hôtel Mamounia de Marrakech, pour cette mission pour le moins étonnante. Les services marocains et une certaine presse de votre pays vous soupçonnent de rouler pour l'Algérie et le Polisario, c'est à peine si vous n'étiez pas un renégat... Depuis le temps que l'Etat marocain fouille dans mes poubelles, au sens propre et figuré, pour connaître mes habitudes, mes préférences et savoir si je me drogue, me soûle ou m'adonne à un quelconque vice, s'il n'a rien trouvé c'est parce qu'il n'y avait sûrement rien à trouver. En 2003, quelques mois avant mon emprisonnement, le général Hamidou Laânigri, alors directeur général de la DST, avait envoyé l'un de ses hommes dans le village natal de ma famille, dans les montagnes du Rif, pour savoir si mon père cultivait du haschisch. Mon père a près de 90 ans et cela fait des décennies que le pauvre n'a pas mis les pieds dans le village de ses ancêtres. Vous voyez de quoi ils sont capables ! Maintenant, quand on ne trouve rien, on a tendance à nous accuser de tout. En tout cas, vu le train de vie que mènent certains journalistes marocains ou responsables de presse dont les publications ont des tirages confidentiels, je crois bien que si je devais un jour rouler pour quelqu'un, je je ferais pour le régime marocain. Apparemment, il paye mieux que les autres. Malgré toutes les pressions, vous vous obstinez à continuer votre combat. Envisagez-vous toujours de créer un journal, peut-être, cette fois, à partir de l'Espagne ? Non, non. Si Dieu me prête vie, je créerai un jour un journal au Maroc et pas à l'étranger. Aucun pouvoir n'est éternel et je suis un homme patient. Enfin, que faut-il à l'Algérie et au Maroc pour qu'ils reviennent à de meilleurs sentiments ? C'est une affaire de génération et de susceptibilités. Vous avez un pouvoir dirigé par un homme formé par une vieille école et nous, nous avons un pouvoir qui est sclérosé par des accès d'humeur, des rancunes tenaces, des vengeances et des coups tordus. Pourtant, nous avons tout pour nous entendre, nous parlons le même dialecte arabe et, par exemple, le tamazight de votre chaouia est en tout point semblable à notre rifain. Mais peut-être qu'il faut attendre encore quelques années avant de pouvoir vraiment entamer des relations dénuées de toutes arrière-pensées.