Depuis l'assassinat de Abane Ramdane, consacrant la suprématie du militaire sur le politique, l'Algérie vit au rythme de coups d'Etat dont l'objectif n'a jamais été autre que l'assujettissement de la société et l'appropriation du pays et de ses richesses. Aujourd'hui, à l'orée des prochaines élections présidentielles, le même scénario semble se répéter. Au lieu et place d'une élection ouverte et démocratique, les cercles de décision s'entre-déchirent au risque d'entraîner le pays dans le chaos. L'agitation effrénée s'exprimant par médias interposés des belligérants et de leurs sous-traitants, en dit long sur la gravité de la situation. Notre devoir de citoyens nous impose de ne pas nous positionner pour les uns ou pour les autres, mais d'analyser froidement la situation dans laquelle évolue notre pays et de s'inscrire dans une perspective historique en rupture radicale avec l'autoritarisme violent imposé par les armes aux Algériens depuis l'Indépendance. Durant l'été 1962, l'armée des frontières a écrasé sous ses chars plus d'un millier d'Algériens dans sa marche pour la prise du pouvoir. En 1963, pas moins de 400 personnes ont péri sous les balles assassines de ceux-là mêmes qui se sont approprié les destinées du pays. Une chasse aux sorcières est vite mise en branle. Des opposants sont emprisonnés et torturés, d'autres contraints à l'exil, d'autres encore lâchement assassinés. En 1980, ce même pouvoir écrase dans le sang une contestation populaire pacifique, inaugurant ainsi un mode opératoire qui culmine avec les tirs à balles réelles sur des centaines de jeunes en octobre 1988. Sous couvert de sauver la démocratie et de sauvegarder la République, ces mêmes hiérarques militaires n'ont pas hésité, en janvier 1992, à donner un coup d'arrêt au processus démocratique né des événements d'Octobre 1988, ouvrant une voie royale à une guerre civile engendrant plus de 200 000 morts, des milliers de disparus, des millions de déplacés, une intelligentsia décimée, assassinée ou poussée à l'exil. Cette entreprise macabre atteint son paroxysme pendant l'été 1997 avec les massacres collectifs de civils à Raïs, Bentalha, Relizane... Toujours dans cette même logique meurtrière et sur fond de lutte de clans acharnée au sommet de l'Etat, Matoub Lounès fut lâchement assassiné moins d'une année après. En dégommant Zeroual, Betchine et leurs clans, ces mêmes décideurs sortent de sa tanière Bouteflika et l'imposent comme Président dans une autre mascarade électorale, avec pour principal objectif d'apporter une couverture politique et juridique aux accords secrets qu'ils ont contractés avec les groupes armés, loin de toute légalité. Deux ans après son intronisation inique, l'armée et les services de sécurité tirent à nouveau sur la population lors des événements de Kabylie de 2001. 127 jeunes sont lâchement assassinés, victimes expiatoires, encore une fois, de luttes pour le contrôle du «quart» restant du pouvoir. En 2004, Bouteflika est frauduleusement reconduit, vraisemblablement avec la suprême bénédiction du patron des «services», contre l'avis d'une partie de l'état-major de l'armée. Lequel «chef suprême», en contrepartie de la disculpation des «services» de leurs responsabilités dans ce qui s'est passé durant la décennie 1990, à travers la Charte pour la réconciliation nationale de 2006, cautionnera le viol de la Constitution en 2008, donnant ainsi libre cours à Bouteflika pour briguer une honteuse et chaotique troisième mandature présidentielle. En 2010, selon les rapports des services de sécurité, pas moins de 10 000 émeutes et mouvements de protestation sont recensés à travers tout le pays. Le marasme est général et profond. Se sentant fortement menacé dans le sillage du soulèvement populaire tunisien en 2011, le pouvoir d'Alger, civil et militaire, fourvoie le mécontentement de la population en usant de subterfuges et de tous les procédés possibles et imaginables : corruption, matraquage et manipulation médiatiques, répression et harcèlement judiciaire, interdiction de marches et de rassemblements. Il provoquera même de vraies-fausses émeutes – se soldant encore par des morts et des blessés – qu'il qualifiera de surcroît de «révoltes de l'huile et du sucre». A nouveau, la rente pétrolière est appelée à la rescousse du système, en soutenant les prix des produits de large consommation et en actionnant des dispositifs de soutien à l'emploi pour acheter au prix fort une paix sociale hypothétique. Un semblant de réformes politiques est annoncé pour créer l'illusion d'une réponse aux attentes et aspirations démocratiques de la société algérienne, considérant le contexte géopolitique régional marqué par les soulèvements insurrectionnels contre les régimes autoritaires. Ces soi-disant réformes sont en réalité liberticides et régressives. Cependant, derrière cette apparente maîtrise de la situation, les contradictions du régime s'accentuent et rongent le système de l'intérieur. Des scandales de corruption, sur fond de règlements de comptes, sont dévoilés. Mais nul n'en est dupe. Malgré l'ampleur phénoménale de la prédation dont est victime l'économie nationale, il n'en demeure pas moins que ces «campagnes mains propres» visent beaucoup plus l'élimination de l'adversaire clanique du moment que l'éradication du fléau. Pour le «malheur» du système, la biologie fait irruption et met à mal les plans souterrains des dirigeants. L'AVC du président, provoque un cataclysme dans les officines et fausse tous les calculs. Le régime se fragmente et des tendances se dessinent. Les uns, de peur de rendre compte de leur gestion catastrophique, tentent d'imposer un quatrième mandat, en s'appuyant sur l'état-major de l'armée, malgré l'incapacité manifeste de l'actuel occupant d'El Mouradia. Les autres, dans leur logique de pérenniser le système en place, se projettent dans l'après-Bouteflika. D'autres encore sont dans l'expectative et attendent le moment venu pour tirer, comme à l'accoutumée, leur épingle du jeu. Seulement, pour les uns comme pour les autres, l'objectif principal est de maintenir leurs privilèges et de demeurer au pouvoir quel qu'en soit le prix, toujours et encore au détriment des intérêts du pays et de la société. Aujourd'hui, au-delà des revendications de destituer Bouteflika pour cause de maladie, incompétence et illégitimité, de dissoudre la police politique pour activités illégales – que nous partageons pleinement – il est plus que jamais urgent que nous, Algériennes et Algériens, soucieux du devenir de notre pays, nous exprimions avec clarté et nous engagions activement pour imposer notre droit à l'autodétermination. Cela doit passer impérativement par l'élection d'une assemblée constituante qui consacrera définitivement les libertés individuelles et collectives, la liberté de conscience, l'égalité entre les hommes et les femmes, la justice sociale ainsi que la mise en place d'un gouvernement de salut national, et ce, quelle que soit l'issue de l'élection présidentielle d'avril 2014. Concitoyennes, concitoyens, soyons acteurs de notre devenir !