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Je démissionne pour couper court aux subterfuges du gouvernement
Tahar Belabbès. Ex-porte-parole de la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC)
Publié dans El Watan le 21 - 02 - 2014

Le leader du mouvement de contestation des chômeurs de Ouargla et de la CNDDC revient sur les raisons de se démission, début février. Presque un an après la marche du 14 mars 2013, il explique aussi ce qui a changé depuis.
-Pourquoi avez-vous choisi de rendre publique votre démission, début février, via les réseaux sociaux ?
Quand j'ai annoncé ma démission, lors du rassemblement du 2 février, personne ne m'a cru. Certains sont venus me demander de rester, d'autres pensaient que je plaisantais et que je n'aurais jamais le courage de revenir vers la base. D'où cette décision collective du bureau de publier un communiqué officialisant cette démission qui n'est due ni à une discorde ni à un accord avec quiconque. Elle n'est pas non plus motivée par des raisons ethniques ou régionalistes. Nous avons simplement annoncé que le choix des délégués s'est porté sur Slimane Kazouz, élu nouveau coordinateur de la wilaya de Ouargla. Il préside désormais l'association que nous avons créée en réponse à la demande du wali, qui nous a conseillés de nous structurer.
-Vous nous expliquez que ce n'est pas votre démission. Quelles sont donc les raisons qui vous poussent à quitter la tête du mouvement ?
Ma démission a deux objectifs. D'abord, couper court aux subterfuges du gouvernement qui a voulu réduire les souffrances, les sacrifices et les rêves des chômeurs algériens à la seule personne de Tahar Belabbès. Je ne suis que le porte-voix de ces milliers d'exclus de la société. Il fallait qu'aux yeux même de ceux que l'administration a réussi à infiltrer parmi nous, nous concrétisions l'acceptation d'avis contradictoires et nous laissions émerger un nouveau staff à la coordination. On m'a accusé d'agir selon des agendas étrangers.
D'être à la solde des ennemis de la nation pour préparer un printemps algérien, voire un mouvement séparatiste. D'avoir des comptes pleins à craquer en Suisse. Il fallait que je me retire de ce leadership qui nuit à mes amis pour revenir à la base et montrer encore une fois l'exemple à ce gouvernement aphone. Ensuite, je me retire pour des raisons liées à l'organisation interne de la CNDDC. Le wali de Ouargla nous a demandé de nous structurer et de nous conformer aux lois en vigueur en constituant une association agréée. Une partie des chômeurs, ici à Ouargla, a été sensible à cet appel et souhaite aller jusqu'au bout de cette logique, que je réprouve personnellement. L'idée d'une structuration administrative conforme aux exigences du ministère de l'Intérieur horripile aussi une large frange de chômeurs dans les wilayas. Nous estimons que notre force vient justement du fait que nous ne sommes pas structurés administrativement parlant. L'inexistence d'un organigramme rend difficiles les tentatives incessantes de torpillage, et notre système de représentation est d'abord pensé pour prendre en charge les revendications de la base, des chômeurs dans les quartiers, dans leur commune, où qu'ils se trouvent.
-Vos détracteurs vous reprochent d'avoir passé le dernier test d'embauche à l'Entreprise nationale des services pétroliers…
A chaque rassemblement, des personnes étrangères au comité d'organisation de la Coordination essaient de gâcher nos rencontres publiques. Nous savons pour qui ils roulent, et nous sommes parés. Je vous répète ce que j'ai dit publiquement le 2 février : je me suis forgé dans la souffrance et l'exclusion et je suis convaincu qu'il existe des milliers de Tahar Belabbès en Algérie. Ils peuvent tous reprendre le flambeau et faire mieux que moi. Voilà plus de dix ans que nous sommes réprimés, tabassés et pourchassés. La répression et la hogra ont fait de nous de vrais militants pacifistes et je ne suis qu'un pion dans la corporation des chômeurs qui m'a façonné.
Quant au test dont vous parlez, je l'ai passé avec la dizaine de chômeurs qui ont organisé les f'tour des chômeurs durant le Ramadhan dernier, devant le siège de la wilaya. Nous avons été tabassés par les policiers qui nous ont férocement chassés, mais nous avons résisté tout au long du mois. Je ne comprends pas qu'on me reproche de passer un test d'embauche, alors que je suis moi-même chômeur et demandeur d'emploi. Ma revendication était de voir mon nom et ceux de mes amis tabassés durant le Ramadhan sur un bulletin. Pourquoi me conteste-t-on ce droit pour lequel je milite ? Cela fait dix ans que je milite : notre objectif est de travailler et de pousser l'Anem à trouver du travail aux véritables chômeurs. Que mon nom apparaisse sur un bulletin veut dire que l'agence a pris en compte ma candidature, cela ne veut pas dire que je serais retenu. La preuve, je suis encore au chômage. L'ENSP ne m'a pas embauché.
-Comment qualifiez-vous vos relations avec le nouveau staff de la wilaya installé à la veille de votre rassemblement du 14 mars 2013 ?
Le nouveau wali se dit ouvert au dialogue, mais il nous oppose son seul point de vue. La porte de la wilaya est certes grande ouverte, mais pas pour nous. Des chômeurs ont été malmenés par la police la semaine dernière, certains ont été longuement auditionnés avant d'être relâchés, la répression sécuritaire est toujours à l'ordre du jour. Oui, Ali Bouguerra nous a reçus deux fois. Comparé à ses prédécesseurs, on lui concède une volonté de changement. Mais concrètement pour nous, rien n'a changé. Chaque semaine, plusieurs groupes de chômeurs protestent à Hdjira, à Touggourt, à Ouargla, etc. Pour l'administration, ce sont tous des empêcheurs de tourner en rond. Qu'on leur donne du travail et qu'on laisse la rue reprendre sa quiétude. On voit bien qu'il y a obstination au pourrissement. Je pense qu'au fond, le wali est représentatif de notre système : il est contre toute forme de contestation sociale, toute revendication pacifique.
-Finalement, qu'est-ce qui a changé depuis le 14 mars 2013 ?
Cette manifestation est historique à plusieurs égards. Elle nous a permis d'arracher notre droit de manifester et de nous exprimer publiquement là où on veut, quand on le veut, à travers toute l'Algérie, à l'exception d'Alger, qui reste à conquérir. C'était aussi notre réponse aux déclarations calomnieuses et injurieuses du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et de Daho Ould Kablia, à l'époque où il était ministre de l'Intérieur. Les gens du Sud garderont à jamais dans leur mémoire cette malheureuse phrase de Sellal parlant des jeunes chômeurs en termes de chirdhima ou de groupuscule terroriste. Les paroles outrageuses de Ould Kablia résonnent encore dans mon oreille quand il a parlé de «neutralisation des protestations et de maîtrise de la situation sécuritaire au Sud pour préserver les installations pétrolières».
Le 14 mars a surtout permis une médiatisation très positive de l'image du chômeur, qui a complètement changé dans l'imaginaire collectif. Pour le gouvernement, qui nous prenait pour des débiles comme pour l'Algérien lambda, le chômeur n'est plus un être négatif, nuisible et incapable. Nous avons démontré aux yeux de l'opinion publique que les chômeurs font bel et bien partie de cette société. Enfin, nous vivons depuis une année avec un regard différent du Sud et les gens du Sud. Il y a plus de respect, moins de folklorisation, un changement dans les nominations qui a profité à quelques secteurs, même si nos cadres sont encore marginalisés.
Avant cette date, nous étions une sorte de territoire en disgrâce où les gens venaient travailler, soit par mesure disciplinaire, soit parce qu'ils étaient poussés au suicide au Nord. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il y a une équité dans la misère, les disparités entre le Sud et le Nord se voient à l'œil nu. Les cahiers des charges sont différents, les standards aussi. Mais le plus important dans tout ça, reste que les chômeurs ont imposé une méthode, un modèle de lutte pacifique pour l'intérêt général, sans ingérence de quiconque. Notre challenge pour les années à venir est de le préserver, de le transmettre et d'en faire une école pour la formation des jeunes pour faire de notre pays une puissance civique, locale, nationale et régionale. L'Algérie s'imposera par le changement civique.
-Vous vous inscrivez donc dans le sillage du combat politique pour le changement ?
Nous nous savons stigmatisés par l'administration qui ne veut ou ne peut pas changer d'attitude envers des personnes qui l'ont contestée. Cela est un fait. Mais nos revendications ne peuvent qu'être politiques par essence. Le chemin vers la liberté est encore long et nous savons que le système actuel est tout à fait impuissant et incapable de donner quelque chose de son propre chef.
-Quelles perspectives pour la lutte des chômeurs ?
Nous sommes en pleine restructuration et j'assure la passation de consignes pour le nouveau bureau. Nous avons donc commencé par annuler le rassemblement prévu le 27 février. Que l'administration inaugure des stèles et des mémoriaux, notre objectif est atteint : personne ne peut nous traiter de séparatistes. Nous avons réussi à faire revivre cette date historique, même si nous reprocherons toujours au président Bouteflika d'avoir refusé, il y a quelques années, de nommer l'université de Ouargla du nom du 27 février 1962. Nous savons nous organiser en toute démocratie et privilégier l'intérêt de la collectivité. Notre objectif est clair : nous voulons arracher nos droits constitutionnels pour manifester, pour la liberté d'expression, pour le respect réel du citoyen et son implication dans la vie politique du pays. Et nous userons de tous les moyens pour que le gouvernement lâche du lest.


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