La désignation mardi par le ministre de la Justice d'un de ses proches conseillers pour suivre l'instruction à Annaba donne un autre contour au dossier. Il a pris de l'ampleur ces dernières quarante-huit heures avec la révélation d'un investisseur portant sur la remise « à titre de prêt » de 10 millions de dinars en bons de caisse BNA au wali mis en cause. En ce qui me concerne, il s'agit d'un prêt que j'ai accordé à sa demande au wali d'El Tarf. Cette somme lui a été remise en trois fois sous forme de bons de caisse BNA d'un montant chacun de 7 millions, 2 millions et 1 million de dinars. N'ayant pas été remboursés, nous l'avons invité par lettre à s'acquitter de ce montant, faute de quoi nous déposerons plainte », a affirmé cet investisseur. Cette ampleur également au vu du nombre de cadres, membres de l'APW, opérateurs économiques et fournisseurs auditionnés ou appelés à l'être incessamment par le juge d'instruction près la cour de justice de Annaba. La désignation du conseiller du ministre serait motivée par les rétractations répétées du wali au moment de la signature du procès-verbal d'audition. Les cadres de la wilaya et des élus seront entendus pour leur implication directe ou indirecte dans des opérations de réalisation d'infrastructures et équipements publics. Lors de leurs investigations, les enquêteurs ont décelé un grand nombre d'anomalies dans la gestion comptable ou technique des dossiers. Il en est ainsi de ceux relatifs aux travaux du nouveau port d'El Kala, lancés en 2003 et suspendus quelques semaines après, de la réfection des routes El Tarf-Bouhadjar-Bougous, Bouteldja-Bouhadjar, Ben M'hidi-Bougous, du lycée Chbaïta Mokhtar. En matière de dilapidation, outre la dégradation de 36 fermes domaines de l'Etat, les enquêteurs ont souligné le flou qui caractérise les concessions accordées pour l'exploitation des carrières de sable, des lacs et l'acquisition auprès d'une société privée intermédiaire de l'ameublement scolaire destiné à l'ensemble des établissements de la wilaya. La bombe à retardement Fait aggravant, c'est auprès de l'entreprise publique qui avait soumissionné à 12 millions de dinars de moins que la société privée a acquis cet ameublement. Cette affaire est qualifiée de véritable bombe à retardement de par l'implication de hautes personnalités de l'Etat qui seront appelées à comparaître devant le juge d'instruction. Dans le volumineux dossier mis entre les mains des magistrats par les enquêteurs assistés par des experts en économie, des documents comptables dont des créances douteuses et litigieuses, de marchés de gré à gré contraires à la réglementation, la dilapidation de deniers de l'Etat, des terres agricoles et des sablières... « L'affaire est sous le couvert du secret de l'instruction, nous ne pouvons rien dire si ce n'est qu'elle est d'une extrême gravité. En ignorant les critères d'octroi des marchés publics, en procédant à des attributions de terrains fonciers sans respect des procédures et au mépris d'un véritable contrôle des projets d'investissement, les abus manifestes se sont multipliés », a affirmé une source judiciaire ayant requis l'anonymat. Dans leurs conclusions, les enquêteurs précisent le contexte dans lequel a opéré le wali d'El Tarf. Après avoir mis ses proches collaborateurs, élus, comités, organismes socioprofessionnels et autres associations civiles sous ses ordres, le premier magistrat de la wilaya aurait exercé une sorte de diktat sur toutes les décisions. Cette attitude où perce parfois la menace s'est étendue aux représentants de la presse dont plusieurs ont été inquiétés, poursuivis en justice ou, pour ceux activant dans une administration de l'Etat, licenciés. Bien que l'analyse des documents par les magistrats doive prendre des semaines, des dizaines de dossiers comportant des noms de cadres, d'élus et d'opérateurs économiques ont été placés sur le dessus de la pile. Ces documents recèlent pour la plupart des présomptions de détournement de fonds publics, de dilapidation du patrimoine de la wilaya, d'abus de biens sociaux et d'escroquerie. S'il paraît prématuré d'attendre des investigations des magistrats une avancée rapide dans la mise à jour d'autres délits graves, les premières conclusions des enquêteurs ont déstabilisé quelques « vedettes » de l'enrichissement rapide à l'ombre de la gestion de la wilaya. « Ceux qui avaient pris les finances publiques de la wilaya pour leurs biens, dont certains truands en col blanc recyclés dans les affaires, vont avoir des comptes à rendre », a estimé notre source. Pour la population d'El Tarf, c'est le commencement de la fin d'une époque où la wilaya a alimenté le triptyque : pouvoir, puissance, terreur. Si la liste des privilégiés comporte une centaine de noms, elle n'est pas exhaustive. Tout est parti des nombreuses dénonciations parues sur la presse ou transmises à la présidence par M. Belaïd, élu à l'APW d'El Tarf et membre de la commission des marchés. Pour avoir osé se rebeller contre l'ordre établi, son habitation avait été détruite en 2004. Avec sa famille, il avait été victime de représailles dont des poursuites judiciaires pour diffamation. Si du côté du siège de la wilaya d'El Tarf, le portail est hermétiquement fermé devant les représentants de la presse et que le téléphone du secrétariat du wali a été mis aux abonnés absents, M. Ghouafria, président de l'APW d'El Tarf, a précisé : « La prise en main de cette affaire par la justice devrait déterminer les responsabilités. Nul n'étant au-dessus de la loi, laissons les magistrats faire leur travail. »