Deux événements majeurs ont secoué le secteur de l'importation ces dernières quarante-huit heures. Le premier concerne le brusque incendie qui s'est déclaré à la direction des douanes de la wilaya de Annaba. « Un court-circuit » en serait la cause, selon certains. Or la fermeture du portail d'entrée, la nervosité flagrante des douaniers en faction, celle de leurs supérieurs en tenue et en civil, leur décision d'interdire (y compris à la police et à la presse) l'accès du siège de leur administration et les flammes s'échappant des fenêtres impliquent que cet incendie, même « dû à un court-circuit », serait douteux... La cause ? Les bureaux où sont déposés les documents et autres équipements informatiques de gestion des transitaires et importateurs auraient été particulièrement ciblés par... les flammes. D'où les questions que les services de sécurité et les cadres d'autres structures de l'Etat se sont posées. C'est là qu'intervient la seconde affaire. Elle porte sur le concentré de tomates Latina que des magistrats près le tribunal de Annaba qualifient être à rebondissements. Cette affaire a débouché sur la mise sous mandat de dépôt de l'importateur Latina et de plusieurs autres. Il a fallu aux gendarmes plusieurs mois d'investigations pour les identifier, les interpeller et les présenter au procureur près le tribunal de Annaba. Prise également en charge par la direction du commerce de Annaba, cette affaire a abouti à élargir l'enquête à l'ensemble des 305 importateurs en activité dans la wilaya. Elle a permis aux services du ministère du Commerce, de celui des Finances, ainsi qu'à ceux de la Sûreté nationale et de la gendarmerie de découvrir que 107 importateurs étaient des faux. La plupart s'étaient spécialisés dans la fuite des capitaux sous le couvert de fausses importations. Saisie de boîtes de concentré de tomate Le 18 septembre 2004, en révélant l'existence sur le marché national de concentré de tomate importé, conditionné dans des boîtes de 1 kg portant marque Latina, El Watan lançait un pavé dans la mare. Quarante-huit heures plus tard, la direction du commerce procède à la saisie de 10 000 de ces boîtes. Les regards et les soupçons des enquêteurs de la direction du commerce, des gendarmes et des magistrats furent braqués sur les wilayas d'Oum El Bouaghi, Bordj Bou Arréridj, Skikda et Annaba ainsi que la ville de Chelghoum Laïd (Mila). Ils découvrirent une foule d'anomalies : des sociétés écrans, de fausses adresses, des identités fictives, des crédits et domiciliations bancaires douteux et des garanties fictives. Au total, une addition salée, mais en soi peu surprenante : les 107 importateurs, dont Latina, bénéficiaient d'un certain nombre de complicités pour acheminer, sans avoir à les déclarer, des tonnes de matériels et de produits agroalimentaires. C'est à partir de là que la direction du commerce de Annaba s'était demandée si derrière toutes ces importations ne se cachaient pas d'autres opérations douteuses. Leur suspicion fut confirmée avec la découverte d'un grand nombre d'importations de grande ampleur, principalement déchargées au port de Skikda, transformé en plaque tournante de tous les trafics. D'autant plus que ces importations, évaluées à plus de 20 milliards de dinars, n'avaient pas été déclarées aux services fiscaux. Les 107 dossiers de ces importateurs originaires des 48 wilayas du pays, y compris Tamanrasset et Tindouf, confinaient au scandale au regard de la déconcertante facilité avec laquelle ceux-ci introduisaient leurs produits importés sur le marché national. « C'est à partir de janvier 2004 que nous avons lancé une vaste offensive contre les faux importateurs. Ce qui nous a permis de relever que sur les 305 importateurs en activité à Annaba,107 étaient des faux. Grâce à l'opiniâtreté de nos éléments et ceux de la gendarmerie nationale, nous sommes arrivés à les situer. Nous avons découvert que la majorité était des sociétés écrans. Elles activaient le temps de 3 à 4 importations importantes à plusieurs centaines de millions de dinars puis disparaissaient. Elles réapparaissent par la suite avec d'autres sigles de sociétés sous de vrais faux registres du commerce », a indiqué M. Hachichi, directeur du commerce de Annaba. L'enquête se poursuit toujours. A la direction du commerce et dans les services de la gendarmerie nationale et de la police judiciaire, des centaines de documents administratifs et comptables sont épluchés. Chacun de son côté a évalué le montant des préjudices commis au détriment du Trésor public ou à l'origine d'une fuite de capitaux. Les dossiers actuellement sous enquête font apparaître l'usage de faux en écriture publique, de commerce et bancaire ainsi que les fausses déclarations de douane. Les mêmes enquêteurs ont dépouillé des documents, vérifié les comptes bancaires et le paiement des chèques émis, recoupé la destination de ces derniers et comparé les signatures. Ils se sont interrogés sur les complicités éventuelles à différents postes frontaliers qui auraient permis de gigantesques carambouilles. Sociétés écrans et gros bonnets Avant leur interpellation et leur présentation au procureur près le tribunal de Annaba, les 107 importateurs avaient fait l'objet d'une perquisition de leur domicile et, pour certains, de leurs locaux. Des éléments d'information qui ont filtré, il ressort que l'identité des gros bonnets se cachant derrière des importations douteuses synonymes de fuites de capitaux n'est toujours pas établie. « Un d'entre eux m'a téléphoné. Ayant appliqué une politique totale d'ouverture à la communication sans distinction de classe sociale, je n'ai pas pris la précaution de lui demander son identité. A demi-mots, il m'a menacé en affirmant que j'aurais à regretter le fait d'avoir déclenché une enquête sur les importateurs et d'être à l'origine des poursuites judiciaires engagées », a affirmé M. Hachichi. Et si les prête-noms ont été mis en examen, jugés et condamnés dans le cadre de la procédure du flagrant délit, les noms des protecteurs pourraient être dévoilés dans les prochains jours. Pour eux, toutes les frontières du pays n'étaient rien d'autre qu'une formalité, une passoire pour leurs marchandises diverses : électroménager, médicament, produits agroalimentaires, pièces de rechange, matériel industriel et agricole. Derrière, foisonnent les sociétés écrans et de hauts fonctionnaires, d'anciennes personnalités et d'actuels élus du peuple des deux Chambres. La facture à plusieurs centaines de millions de dinars donne toute l'ampleur des importations non déclarées tant au niveau des services des douanes qu'aux impôts. Il a fallu que, en collaboration avec la gendarmerie nationale, la structure décentralisée du ministère du Commerce à Annaba multiplie les opérations coup-de-poing pour atteindre ce résultat. Celui-ci est le fruit d'une collaboration sans faille entre les structures de l'Etat qui ont allié efficacité et fermeté. Selon M. Hachichi, l'ampleur du phénomène des vrais et faux importateurs auteurs d'opérations frauduleuses a atteint l'équivalent de 20 milliards de dinars durant les quatorze derniers mois. Ce montant a transité entre les mains des 107 vrais faux importateurs. Les marchandises importées sont introduites en Algérie sous de fausses déclarations. Les ports de Annaba et de Skikda ainsi que le poste frontalier terrestre de Bouchabka à Tébessa, à l'Est, sont privilégiés par les importateurs. C'est à partir d'un des postes terrestres qu'ont été introduites, ces derniers jours, plusieurs tonnes de friandises en provenance de Tunisie. D'une valeur de 2 millions de dinars, ces friandises étaient impropres à la consommation. Elles ont été saisies par la direction du commerce de Annaba.