Le ministre de la Justice, M. Belaïz, a annoncé l'ouverture d'une enquête pour déterminer l'origine des fuites sur l'instruction du dossier Khalifa et la publication dans la presse des informations et des noms des personnes, dont des ex-ministres et des ministres en poste, auditionnées et inculpées pour certaines d'entre elles par la justice. La décision du garde des Sceaux mérite d'être saluée si elle a été réellement prise pour rappeler un principe universel du droit qui préserve le secret de l'instruction et qui consacre le principe de la présomption d'innocence jusqu'à l'établissement de la preuve de la culpabilité du prévenu. Force est de constater qu'en la matière la réaction du ministre de la Justice est venue un peu tard. Elle a été suscitée par les parlementaires qui ont interpellé le représentant du gouvernement sur la publication presque des minutes des auditions des personnes convoquées par la justice à un titre ou un autre dans l'affaire Khalika. Ce n'est pas la chancellerie qui a pris l'initiative de s'autosaisir pour veiller au strict respect du secret de l'instruction. Les premiers noms des personnes auditionnées par la justice et dont certaines furent inculpées ont commencé à alimenter les chroniques judiciaires il y a plusieurs mois déjà sans que la chancellerie n'ait jugé nécessaire d'intervenir pour y mettre le holà. Le silence observé par le ministère de la Justice sur les révélations faites autour de l'affaire Khalifa apparaissait de plus en plus suspect pour de nombreux observateurs qui ne comprenaient pas comment et pourquoi la chancellerie n'a pas bougé le petit doigt alors que l'affaire est au stade de l'instruction. Les informations publiées dans la presse sont remarquablement bien sourcées pour se méprendre sur l'origine de ces fuites qui ont gagné en intensité depuis quelques jours. Le lien a été vite fait entre cette affaire présentée par certains comme l'arbre qui cacherait la forêt. Pour d'aucuns il est en effet clair qu'il s'agit de comptes entre clans du pouvoir que l'on est en train de solder via ce scandale. Pour certains analystes les dérives auxquelles on assiste quant à la gestion de cette affaire au plan du respect des droits des justiciables à la présomption d'innocence et au secret de l'instruction ne sont rien d'autres que les conséquences des dommages collatéraux de l'élection présidentielle d'avril 2004 et de la « débenflisation » qui se serait traduite par la traque des proches de l'ancien candidat malheureux Ali Benflis. Les sources anonymes L'opération semble être bien orchestrée pour être le fait de fuites émanant de sources indépendantes. Tout le monde aura remarqué en effet comment on est monté crescendo dans les révélations attribuées à des sources judiciaires supposées anonymes mais qui sont faciles à identifier tellement les informations publiées étaient presque signées. On a commencé par doses homéopathiques par balancer certains noms pour en arriver à épingler une foule de personnes qui ont mangé dans la main de Khalifa et que l'on retrouve dans tous les milieux socioprofessionnels voire pour donner du crédit à cette affaire dans la sphère gouvernementale. Quand on voit la « générosité » avec laquelle Mouméne Khalifa se comportait à l'endroit de ses « amis » pour lesquels il ne savait jamais dire non avec un parfaite maîtrise de la mécanique de l'ascenseur qui faisait qu'il récupérait d'une main ce qu'il donnait de l'autre, quand on voit la toile d'araignée qu'il a tissée dans la sphère économique et dans les pouvoirs décisionnels d'une manière générale, on a du mal à croire que des pontes du régime n'aient pas cédé à la tentation. Peut-être faudrait-il attendre la suite de l'enquête pour être définitivement fixé sur cette question qui taraude les esprits ? En tout état de cause le secret de l'instruction est paradoxalement bien gardé pour les uns et pas pour les autres. D'un autre côté, le ministre de la Justice a déjà désigné les auteurs des fuites avant même la conclusion des résultats de l'enquête qu'il a diligentée en pointant un doigt accusateur en direction de la défense. Les avocats ont peut-être ou sans doute une part de responsabilité dans la divulgation depuis quelques jours des informations qui ont abondamment alimenté les colonnes des journaux mais il serait faut de croire que la responsabilité s'arrête uniquement aux portes des cabinets des robes noires. Les fuites ont commencé à circuler dans la presse avant même que les avocats n'aient été destinataires des dossiers de l'instruction. Quand un journaliste cite des sources anonymes judiciaires proches du parquet, il dévoile déjà sa source. Il ne reste plus qu'à mettre un nom. Il faut seulement que les juges qui ont joué le jeu pour la première fois dans l'histoire de la justice algérienne ne soient pas sacrifiés par leur tutelle pour avoir les relations de complicité qu'ils ont nouées avec la presse dans l'affaire Khalifa. Il est vrai que sans ces fuites, l'affaire Khalifa se serait déroulée à huis clos loin des indiscrétions de la presse. Cela pose sans doute un problème de droit, celui du respect de la présomption d'innocence et du secret de l'instruction mais l'enjeu de cette affaire vaut une entorse à la loi si c'est réellement le souci de la vérité qui est recherché par les sources qui alimentent la presse en informations de première main. Mais connaissant comment le système fonctionne il est difficile d'admettre qu'un juge d'instruction puisse prendre une telle liberté même sous le couvert de l'anonymat le plus rigoureux qui ne pourra jamais le mettre à l'abri de représailles de sa tutelle s'il n'est pas couvert par sa hiérarchie. Sauf à avoir l'esprit de sacrifice pour une bonne cause. Mais dans ce cas pourquoi se cacher derrière le confort de l'anonymat ? Par ailleurs, on connaît les suites réservées aux commissions d'enquête dans notre pays pour se faire une quelconque illusion quant à savoir qui est le corbeau dans l'affaire de la divulgation dans la presse du dossier d'instruction de l'affaire Khalifa ! Certains n'hésitent pas à parler de fuites organisées ? Au pouvoir de prouver le contraire.