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"Je proclame ma libérté et je fais confiance à la justice algérienne" Djamel Ghanem, caricaturiste de La Voix de l'Oranie, et Maître Youcef Dilem, son avocat
Poursuivi en justice pour abus de confiance, accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données et surtout outrage au président de la République, le caricaturiste Djamel est toujours sous contrôle judiciaire depuis le 14 novembre 2013. - Vous avez été victime d'une agression physique dans une cafétéria de la ville d'Oran. Pouvez-vous nous raconter ce qui s'est passé ?
Je me trouvais effectivement dans une cafétéria de la ville. Quatre personnes, dont un mineur, sont venues me voir et m'ont obligé à les accompagner à l'extérieur. Une fois dehors, un a essayé de m'étrangler par derrière et un autre m'a donné un coup de poing. J'ai essayé de me défendre comme j'ai pu, mais ils m'ont pris par les pieds et m'ont jeté par terre. J'ai failli perdre connaissance. Je voyais tout noir. Quand je me suis levé, je n'ai trouvé personne. Ils se sont évaporés dans la nature.
- Qu'est-il arrivé le jour de votre interrogatoire au commissariat du 16e ?
A peine arrivé au commissariat, j'ai vu débarquer le photographe du journal La Voix de l'Oranie, Tahar Abdellah, qui est un ami intime de Abdou Ghalem, le directeur du journal. Il s'est non seulement permis d'entrer dans la salle d'interrogation mais m'a aussi agressé verbalement devant tous les policiers présents ! Les agents l'ont laissé parler sans qu'il soit inquiété. C'est le commissaire qui l'a mis dehors après avoir entendu du bruit dans le commissariat. J'ajoute un point : je voulais déposer une plainte contre lui, mais je me suis rétracté.
- On vous a refusé le droit de vous constituer pour défendre Djamel Ghanem. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Me Youcef Dilem. En effet, le 28 novembre 2013, j'ai accompagné Djamel qui devait signer le registre des contrôles judiciaires. Je me suis vu refuser le droit de consulter le dossier et de me constituer pour le défendre, bien qu'il signait encore ce registre. Même après cette date, au niveau du parquet de la République, mes démarches sont restées sans suite. Alors, j'ai décidé d'en entamer une nouvelle avec mon confrère Me Fodil Abderrazak. Et c'est là que nous avons pu avoir accès au dossier après l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. J'avoue que c'est grave.
- Contrairement aux cas de poursuites judiciaires contre les journalistes, dans le vôtre, c'est votre directeur lui-même qui enclenche l'action. D'après vous, qu'est-ce qu'il l'a motivé pour vous ester en justice pour une caricature qui n'a même pas été publiée ?
A travers son action, le directeur de La Voix de l'Oranie a voulu gagner quelques pages de publicité. C'est la raison pour laquelle il m'a infligé trois accusations dont l'outrage au président Abdelaziz Bouteflika. Il pensait qu'ainsi, il aura l'appui financier du pouvoir. Il y a aussi un autre élément important. Fin septembre 2013, j'ai pris la décision de déposer une plainte sociale contre lui au niveau de l'inspection du Travail d'Oran. Abdou Ghalem a refusé de me payer mes salaires de sept années travaillées dans la version arabophone du même journal (3 millions de dinars). Donc, s'il a pris la décision de me poursuivre en justice, c'est pour bloquer la plainte en question. Ce qui est d'ailleurs le cas.
- Comment qualifiez-vous cette situation ?
C'est une histoire préfabriquée par lui. Abdou Ghalem ne cherche qu'à élargir ses horizons et affirmer encore une fois sa soumission au pouvoir. Cela s'est retourné évidemment contre moi, alors que c'est lui qui devrait être présenté devant la justice, pas moi. De peur de payer la somme de 3 millions de dinars, Abdou Ghalem a fait de cette histoire une affaire politique dont il aimerait en tirer profit en évoquant l'outrage au président de la République.
- Que répondez-vous aux accusations portées par le directeur de La Voix d'Oranie ?
Ces accusations sont infondées. Je ne vous cache pas que cette histoire me tourmente et me traumatise de plus en plus. Je vis une pression terrible. Il ne faut pas oublier que le parquet a requis 18 mois de prison ferme assortie d'une amende de 30 000 DA. Je vous mentirai si je dis que je dors la nuit. Je vis au jour le jour et j'attends le verdict prévu pour le 4 mars.
- Pensez-vous que les conditions d'un procès juste sont réunies ?
Me Youcef Dilem. Je dirai non bien évidemment. Il suffit d'assister au procès tenu en audience publique pour conforter ce que j'avance. Le fait même d'évoquer le nom du président de la République dans la salle d'audience provoquait un rejet systématique de la part du tribunal de toutes les questions de la défense relatives au caractère injurieux du dessin envers Bouteflika. Cette ambiance kafkaïenne qui a marqué ce procès avait dispensé la partie civile et le parquet de donner une interprétation de cette caricature bien qu'il leur incombait de démontrer son aspect délictuel.
- Comment voyez-vous la suite de cette affaire, sachant que le procureur a requis 18 mois de prison ferme contre Djamel Ghanem assortie d'une amende de 30 000 DA ?
Me Youcef Dilem. Question difficile du moment qu'on ne peut préjuger de rien, car cette affaire n'est qu'à ses débuts. Pour pouvoir porter une vision sur son devenir, il est impératif de prendre en compte toute les démarches et procédures antérieures à la tenue du procès du 11 février et qui étaient entachées d'irrégularités, voire de nullité pour vice de procédure. Cet aspect avait fait l'objet d'une présentation d'exception de nullité de la procédure in limine litis par la défense de Djamel Ghanem avant même d'aller au fond des débats. Les moyens évoqués en dépit de la peine requise peuvent motiver l'annulation des poursuites, à moins d'une autre décision.
- Comment êtes-vous devenu caricaturiste ?
C'est un don. J'ai toujours aimé le dessin. Pour la caricature, j'avoue que j'ai été beaucoup influencé par Slim (Le Soir d'Algérie) qui est pour moi le père de la bande dessinée (BD) en Algérie. Ensuite, il y a Ayoub (El Khabar – El Mihouar) qui cartonnait à cette époque. Je me suis dit pourquoi ne pas utiliser ce que Dieu m'a offert pour m'exprimer sur ce qui se passe autour de moi. Je suis autodidacte. Je n'ai pas fait les Beaux-Arts, car je n'avais pas les moyens. Je travaillais dans le magasin que nous a légué notre père avant qu'il décède en 1986.
- Que pensez-vous de la situation de la liberté d'expression et celle des journalistes à exercer leur métier en Algérie ?
C'est une question que vous devriez poser aux journalistes qui ont préféré l'exil. J'avoue que le journalisme est le métier de toutes les difficultés, mais jusqu'à être poursuivi en justice par son propre directeur pour une caricature incomplète et non publiée, c'est du jamais vu !
- Quelles sont vos attentes ?
Je ne suis qu'un simple citoyen. Un artiste qui gagne son pain avec ce qu'il fait avec ses mains. Je ne demande qu'une chose : qu'on me laisse vivre tranquillement. Quant à mon verdict, je fais confiance à la justice algérienne. Je suis innocent. Néanmoins, je proclame par la même occasion mon droit à m'exprimer librement sans que je sois inquiété par rapport à mes idées et mon art. Pour la suite de cette affaire, je poursuivrai le directeur de La Voix de l'Oranie pour diffamation et le photographe Tahar Abdellah pour agression verbale à l'intérieur d'un établissement sécuritaire. Je suivrai aussi ma plainte sociale au niveau de l'inspection du Travail. J'ai le droit d'avoir mon dû et être payé pour mon travail.