La grande rafle. Hier, au cœur d'Alger, la grande manifestation «anti-Présidence à vie» n'a pas eu lieu. La manif promise a tourné court, avortée par une armée de zélés policiers beaucoup plus prompts à obéir aux ordres du pouvoir politique qu'à la Constitution du pays qui garantit la liberté d'expression, un droit (chimérique) dont l'exercice est censé être protégé par les lois de la République. Samedi à 10h, boulevard Didouche Mourad, les quelques centaines de manifestants pacifiques ont eu, de nouveau, à éprouver la très cynique «gestion démocratique des foules» chère au général Hamel, patron de la police et néanmoins homme du «clan présidentiel». Pas de quartier ! Ordre de faire place nette, de déchirer toute pancarte ou banderole à contenu jugé «subversif», de museler, au propre et au figuré, toute bouche contestatrice, tout slogan sentant le crime de lèse-majesté. Tôt le matin, un imposant dispositif policier ceinturait déjà les quartiers alentour. Déploiement disproportionné de la force publique. «El Yed fel yed, n'ghelkou aâlihoum (main dans la main, on les prend en sandwich)», ordonne cet officier dont les subordonnés s'apprêtent à donner l'assaut aux manifestants retranchés à même la Gulf Bank Algeria, face à la Faculté centrale. S'ensuivent des arrestations à la chaîne. Les flics en civil, appuyés par des agents en tenue, fondent sur les groupes de manifestants, extraient manu militari les têtes de proue. Saignée dans les rangs du très hétéroclite Collectif contre le 4e mandat dont les animateurs «tomberont» les uns après les autres, cueillis à chaud et jetés dans les nombreux paniers à salade mobilisés pour la circonstance. Le long du boulevard portant le nom du héros intemporel de la résistance algérienne, aux abords de la place Audin où étaient massés les groupes de manifestants, se transformera vite en quai de gare. Les fourgons cellulaires de la police se suivent et se ressemblent : tous remplis à ras bord de cette indomptable «société civile», trop fière pour «solliciter avec insistance» un énième mandat pour le président Bouteflika, trop autonome (du pouvoir) pour être comptabilisée dans ses statistiques officielles. Scènes d'anthologie où la brutalité policière joue les premiers rôles. Des roses au panier à salade Aux caméras du monde braquées sur l'Algérie, l'Etat policier a donné la pleine mesure de son pouvoir et de ses arts répressifs. Aucun point de fixation n'est toléré pour les protestataires. Les manifestants sont durement molestés. A l'image de ces mères de disparus (SOS Disparus) traînées sur l'asphalte et hurlant à la «hogra», cet intraduisible et abyssal «mal algérien». Une jeune manifestante, portant un bouquet de roses, est happée par un groupe de policiers, poussée sans ménagement à l'intérieur du fourgon de police où croupissent déjà une dizaine de manifestants. Les roses sont piétinées, les pétales jonchent l'endroit. Kyrielle d'arrestations «Djazaïr Houra, Dimocratia (Algérie libre et démocatique)», «Bouteflika dégage», «Non au 4e mandat», «Ni Oujda ni DRS», «Pouvoir assassin», «La lil Fassad», «Non à l'arbitraire, non à la corruption !»… Les slogans, débités en rafale, ne résisteront pas longtemps à l'épreuve de force et à la chasse au manifestant, dont certains sont poursuivis jusqu'à l'intérieur même des immeubles où ils se sont réfugiés. «A Béjaïa, il y a eu 25 blessés. Tous des bleus», ose une manifestante venue de Bougie, ville aux prises depuis plusieurs jours à un soulèvement de lycéens. Pacifiques, aux frontières de la passivité, les manifestants (aucune personnalité politique notable n'y avait pris part) se sont laissés embarquer. Non sans avoir rejoués la scène de Zabana, le (premier) résistant guillotiné de la Révolution, s'avançant vers la mort d'un pas sûr en entonnant un chant patriotique. Des grondements, hurlements et sifflements d'indignation accompagnent souvent la kyrielle d'arrestations qui tantôt sont ciblées, tantôt opérées dans le tas. Des activistes et animateurs, entre autres, de la Ligue des droits de l'homme (LADDH, aile Kadour Chouicha), des journalistes, des syndicalistes, des «cybermilitants» écumant la Toile et ses réseaux sociaux… ont été servis en brutalités policières, embarqués et dispatchés à travers plusieurs commissariats de la ville. A 11h30, les artères se vident déjà des manifestants. Ou presque. Quelques irréductibles subsistent, chassés, passant d'un trottoir à l'autre pour éviter les «aya, c'est bon» des policiers, sifflant unilatéralement et avant l'heure la fin de la manif. A midi, des engins de nettoyage de l'APC d'Alger-Centre entrent en scène. Illusoire. La place est nette. 13h30. Quelques bornes à l'ouest, dans le mythique Bab El Oued, à la salle Atlas, se tient un meeting des «pro-4e mandat». Une manifestation du troisième type couvée, gardée par la police républicaine. Le «Bouteflika Boy», Amara Benyounès, ministre de l'Industrie et secrétaire général du Mouvement populaire algérien, a rameuté du monde pour une campagne électorale dont le démarrage officiel n'est pas encore à l'ordre du jour. «Si Abdelaziz Bouteflika, crie-t-il, n'est pas Ben Ali. Il n'est pas Moubarak, pas El Gueddafi. Les Algériens l'aiment…»