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Débat sur le 87 bis : y a-t-il une vie après l'économie ?
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Publié dans El Watan le 03 - 03 - 2014

En premier lieu, il faut quelque peu clarifier les termes du débat. Cet article a été imposé par le FMI pour maîtriser la masse salariale. Dire que c'est le FMI qui l'a imposé impliquerait automatiquement qu'il est négatif pour un économiste de gauche et positif pour un ultralibéral. La réalité se trouverait au milieu pour les analystes non dogmatiques. Certaines propositions du FMI sont salutaires, d'autres catastrophiques. Le 87 bis stipule que les primes et les différentes indemnités (dont celle liée à l'expérience) doivent être ajoutés au salaire de base pour calculer le SNMG, à l'exclusion des indemnités payées directement par les travailleurs. Si on éliminait cet article, le SNMG ne comptabiliserait pratiquement que le salaire de base.
Alors, nous aurions automatiquement des revalorisations salariales nominales importantes. Ce qui aurait un effet d'entraînement sur toute la chaîne salariale et nous aurions des revalorisations en cascade. Nous sommes un pays géré sans les outils économiques modernes. Dans un pays moderne, un simulateur serait disponible pour produire des conclusions beaucoup plus fiables que les estimations arithmétiques des différentes commissions érigées par les principaux partenaires engagés dans le débat. Cette préoccupation doit interpeller nos dirigeants pour investir davantage dans l'économie du savoir. Les différentes commissions qui plancheront sur les détails vont sûrement produire des estimations contradictoires. Les bases de données économiques et financières sont introuvables. Les informations financières ne sont mêmes pas disponibles sous forme agrégée pour se faire une image globale de la variété des cas des petites et moyennes entreprises.
L'analyse purement économique
J'avais expliqué le dilemme des salaires en Algérie à maintes reprises. Je me résume ici. Il y a une bizarrerie extraordinaire. Les salaires sont très bas socialement et trop élevés économiquement. Il faudrait élaborer plus, tout en simplifiant pour que le message passe. Pour qu'une famille algérienne comptant trois enfants puisse vivre décemment, selon les normes sociales actuelles, elle devrait disposer d'un salaire qui se situerait entre 60 000 et 80 000 DA.
Or, si l'on considère ce que produit chaque Algérien économiquement, hors hydrocarbures, nous retombons sur quelque chose comme 15 000 DA par Algérien maximum (somme des valeurs ajoutées du secteur productif hors hydrocarbures, divisée par l'effectif global). La différence entre les salaires perçus et la production de biens et services marchands est financée par la rente pétrolière. Sans cette dernière, le salaire moyen serait inférieur à 15 000 DA.
Les travailleurs ne sont nullement responsables de cette situation. Si on les qualifiait et qu'on les mettait dans des entreprises dotées d'un management de classe mondiale, il ne serait pas surprenant que leur production se multiplierait par huit ou neuf. Selon les quelques statistiques dont nous disposons, l'ensemble des rémunérations frôle les 70 milliards de dollars. Selon des estimations trop approximatives, l'abrogation de l'article 87 bis induirait une augmentation de salaires de plus de 7 milliards de dollars (Fonction publique + entreprises). Plus de 80% de cette augmentation se fera dans la sphère publique (Etat et entreprises).
Du point de vue de la logique purement économique, il serait difficile de justifier la décision au moment où la productivité chute : ce que produit chaque Algérien baisse d'environ 1% par an. Alors, si rien ne change par ailleurs, ce qui se passera est évident : on aura une augmentation des prix. Les bas salaires amélioreront leur niveau de vie, disons de 5 à 8% d'amélioration du revenu réel. Les hauts salaires connaîtront une baisse du niveau de vie, grosso modo, entre 12 et 15%. Il y aura un tassement des salaires vers le bas. Cet ajustement serait le bienvenu si l'on considérait qu'il y a une très grande variabilité des salaires.
Le deuxième problème serait l'enfoncement de l'économie nationale dans son extrême dépendance des hydrocarbures. Plus on parle de rupture, plus on prend des décisions qui asservissent l'économie aux hydrocarbures. C'est sur la base de ces analyses que beaucoup d'économistes considèrent «peu raisonnable» la décision d'éliminer l'article 87 bis.
Economisme et Pragmatisme
L'économie constitue une dimension importante de la dynamique des évolutions sociétales. Elle s'érige en constituant de base de toute formation économique et sociale. Mais d'autres dimensions coexistent : aspect social, politique, humain, etc. Ceux qui encouragent ce genre de décisions ont surtout recours à l'éthique. On pourrait parfois tordre le cou aux considérations économiques pour d'autres raisons. L'économiste est parfois déconcerté devant de telles affirmations. Qui serait contre plus d'égalité si l'on jugeait qu'il y a trop de disparités, sans pour cela rendre la machine économique plus productive ? Par ailleurs, on a conditionné les anticipations du monde du travail à un niveau tel qu'un recul sur la question deviendrait un risque politique énorme. Et comme la politique prime sur l'économie dans la plupart des pays, surtout ceux du Tiers Monde, le tour est joué. Les priorités politiques changent en fonction du timing des événements : en période d'élections, ce sont les dépenses publiques qui sont interpellées pour faire les campagnes électorales partout dans le monde, mais surtout dans les pays en voie de développement.
En tout état de cause, l'augmentation ne se justifierait que si des décisions d'accompagnement efficaces de hausse de la productivité s'ensuivent avec force. Le repère de la justesse ou du dérapage de cette décision serait l'évolution de la productivité future. Si elle continue sa baisse tendancielle, alors nous aurions failli sur tous les plans. Si, par contre, les mesures managériales mettaient une halte à ce dangereux glissement, nous aurions alors gagné un pari et réussi là où personne ne nous attendait. Mais ce défi n'a pu jusqu'à présent être relevé par aucun gouvernement. La question est là : depuis notre indépendance, personne n'a su améliorer nos pratiques managériales au point que la productivité marginale des facteurs s'accroisse.


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